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Mehdi ALLAL

Attaché principal des administrations parisiennes / Chargé de mission "Promesse républicaine" (DDCT) / Chargé de TD en droit constitutionnel à Paris Nanterre / Fondateur & Responsable du pôle "vivre ensemble" du think tank "Le Jour d'Après" (JDA) / Président de l'association La Casa Nostra / Membre du club du XXIème siècle / Secrétaire-adjoint de l'association des rapporteurs.trices de la CNDA (Arc-en-ciel) / Fondateur du média "De facto" / Député de l'Etat de la diaspora africaine (SOAD)

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Billet de blog 11 octobre 2025

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Vers une éthique du charnel libre : à la fois charnière et nuisible ?

Nous croyons avoir libéré nos corps, mais nous les avons livrés à d’autres maîtres : l’image, la vitesse, la performance. Le désir, jadis murmure de la nature, s’est changé en spectacle du marché. Ce texte explore, à la lumière de Schopenhauer, Nietzsche et Baudrillard, la possibilité d’une réconciliation entre la chair et la conscience...

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Attaché principal des administrations parisiennes / Chargé de mission "Promesse républicaine" (DDCT) / Chargé de TD en droit constitutionnel à Paris Nanterre / Fondateur & Responsable du pôle "vivre ensemble" du think tank "Le Jour d'Après" (JDA) / Président de l'association La Casa Nostra / Membre du club du XXIème siècle / Secrétaire-adjoint de l'association des rapporteurs.trices de la CNDA (Arc-en-ciel) / Fondateur du média "De facto" / Député de l'Etat de la diaspora africaine (SOAD)

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Vers une éthique du charnel libre

Ce texte est né d’une conversation, mais il s’enracine dans une méditation ancienne : celle d’un humanisme lucide, attentif à la fatigue, à la fragilité, à la quête de sens.

Il prolonge une recherche obstinée : comment réconcilier la biologie et la conscience, la chair et la dignité ?
Et, plus encore, comment rendre hommage aux femmes — non en les idéalisant, mais en reconnaissant le poids invisible des injonctions qui, depuis des siècles, ont voulu façonner leur rapport au désir, au corps et à la liberté.

La ruse de l’espèce et la puissance de l’esprit

Avec Schopenhauer, l’amour cesse d’être mystère : il devient mécanique. Derrière l’élan passionné, se cacherait la ruse d’une espèce cherchant à se reproduire sous le masque du romantisme.
Mais Nietzsche, lui, refuse ce désenchantement. Là où Schopenhauer voyait un piège, il voit une puissance : la vie qui s’invente, la chair qui dit “oui” au monde.
Le désir n’est plus un calcul de la nature, mais une énergie créatrice — une forme d’art.
Et pourtant, Baudrillard nous rappelle que, dans la modernité, cette énergie s’est perdue dans les reflets.
Nous n’aimons plus des corps, mais des signes ; le désir ne brûle plus, il s’affiche. Ce que la nature dictait jadis par l’instinct, la société le commande désormais par l’image.

De la libération proclamée à la servitude consentie

De Weininger à Molière, la réflexion glisse du biologique au social. L’homme moderne croit s’être libéré du destin, mais il obéit à d’autres codes.
Autrefois, on interdisait fermement aux femmes de désirer ; aujourd’hui, on leur interdit de ne pas désirer.
La “liberté sexuelle” devient injonction à la performance : il ne s’agit plus de se cacher, mais de plaire — toujours, partout, selon les normes invisibles du marché.
Le corps féminin devient projet, capital, vitrine. Ce que la morale religieuse exigeait en secret, la société du spectacle le réclame à ciel ouvert.
Molière l’avait pressenti : Alceste, refusant la comédie du paraître, est moqué pour sa sincérité.
De même aujourd’hui, la lenteur, la pudeur, la réserve deviennent presque des provocations. Et pourtant, c’est peut-être là que réside la vraie liberté — dans le refus de jouer, dans la fidélité à une vérité du corps.

Réconcilier la chair et la loi

Contre cette accélération du désir, l’auteur propose une voie médiane : une éthique du charnel libre.
Le corps, écrit-elle, ne doit pas être nié ni exploité, mais écouté. Le consentement n’est pas un mot ni un geste, mais un temps — un espace où l’on peut encore dire non sans rompre la rencontre.
La pudeur devient alors non pas une honte, mais une souveraineté : le droit d’appartenir à soi avant de s’offrir à l’autre.
Le droit, lorsqu’il proclame la dignité du corps humain, accomplit sans le dire une forme de spiritualité laïque : il rappelle que la chair est le seuil de la personne, non sa marchandise.
Dans un monde saturé de données, aimer, c’est ralentir. C’est refuser la programmation des émotions, restaurer la surprise, la parole, la lenteur.

La justesse plutôt que la maîtrise

Au fond, de Schopenhauer à Nietzsche, de Weininger à Baudrillard, se joue une même tension : comment aimer entre la nature et la culture, entre la nécessité et la liberté ?
La véritable émancipation ne réside ni dans la maîtrise ni dans la performance, mais dans la justesse — cet art d’écouter, d’attendre, de choisir sans calcul. Le corps ne doit plus être un champ de bataille, mais un lieu de paix, un langage de vérité.

Pour un humanisme du corps

À l’heure où les machines imitent les émotions et où les algorithmes prédisent les compatibilités, il devient urgent de redonner au lien humain sa lenteur et sa densité.
Peut-être faut-il inventer, comme le suggère l’auteur, un nouveau constitutionnalisme du vivant — une séparation des pouvoirs entre le biologique, le numérique et le symbolique.
Aimer, alors, ne serait plus conquérir ni paraître, mais consentir à la complexité du vivant. Ce serait faire de la chair une parole, du désir une conscience, de la liberté une œuvre.

Nietzsche disait : « Il faut porter en soi un chaos pour enfanter une étoile qui danse. »
Le chaos, c’est la biologie, la pulsion, la contrainte.
L’étoile, c’est la lenteur, la parole, la dignité retrouvée.

Et peut-être que la tâche de notre temps est précisément là : réapprendre à aimer — non pas pour posséder ni pour survivre, mais pour rencontrer, enfin, la vérité de la vie. Pour aller à l’encontre de la morbidité muni…

Marie Taffoureau, juriste et philosophe à l’université Paris Nanterre…

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