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Attaché principal des administrations parisiennes / Chargé de mission "Promesse républicaine" (DDCT) / Chargé de TD en droit constitutionnel à Paris Nanterre / Fondateur & Responsable du pôle "vivre ensemble" du think tank "Le Jour d'Après" (JDA) / Président de l'association La Casa Nostra / Membre du club du XXIème siècle / Secrétaire-adjoint de l'association des rapporteurs.trices de la CNDA (Arc-en-ciel) / Fondateur du média "De facto" / Député de l'Etat de la diaspora africaine (SOAD)

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Billet de blog 14 octobre 2024

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Des violences sexuelles : l'arme de guerre silencieuse et l'urgence de protection

A Max ; à Myriam ; à Aminata ; à Eugénie et Soraya ; à ma voisine du 3ème et Djibril ; à Nabil et Carlos ; Loreleï ; toujours là dans les coups durs...

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Des violences sexuelles en RDC : l'arme de guerre silencieuse et l'urgence dune protection, sur le tard, devenue la tare des pays dits civilisés

Par Mehdi Allal, chargé de mission à la Ville de Paris, enseignant et écrivain.

A Marie Taffoureau, la bien-aimée...

Le viol en République démocratique du Congo (RDC) est bien plus qu'une tragédie personnelle pour les femmes et les filles qui en sont victimes, une tragédie opprimante, qui a pris des proportions alarmantes. Il est devenu une arme de guerre, méthodiquement utilisée pour détruire des communautés entières, anéantir le tissu social et soumettre une population déjà meurtrie par des décennies de conflits, par des rivalités intestines et assassines.

Face à cette réalité atroce, la France, et plus largement l'Europe, doivent assumer leur responsabilité en accordant sans réserve le statut de réfugié ou la protection subsidiaire aux victimes de ces violences, en vertu du droit d'asile, un droit spécifique et réservé à toutes celles qui craignent pour leur intégrité physique, un droit fondamental inscrit dans la Constitution, mais dont la mise en œuvre a été transférée au droit communautaire.

Le viol comme instrument de domination, et d’une exploitation tâchée de lâcheté

Depuis le début des années 1990, la RDC est en proie à des conflits armés d'une violence inouïe, vertigineuse. Derrière l’écran des guerres pour les ressources naturelles et le contrôle politique se cache une autre guerre, menée contre les corps des femmes, leur mutilation et leur annihilation, l’annulation de leur égo.

Utilisé de façon systématique, le viol en tant qu’arme de guerre vise à humilier, à déshumaniser et à effacer les identités culturelles des populations civiles. Ce crime de masse, qui se déroule, qui se dévoile souvent dans l’indifférence générale, a pour conséquence non seulement des traumatismes physiques et psychologiques, mais également des stigmates sociaux, poussant les victimes un exil forcé et vers une liberté entachée.

Ces femmes, ces enfants, parfois même des hommes, n’ont souvent d'autre choix que de fuir leur pays pour tenter de reconstruire une vie loin des zones de conflit. Pourtant, lorsqu’ils arrivent en Europe, la reconnaissance de leur statut de réfugié n’est pas toujours garantie. Trop souvent, leurs récits sont remis en cause, leur souffrance minimisée, et les rouages de la bureaucratie de l’asile ignorent les réalités du terrain, leur destin brisé et bridé.

Le cadre légal de l'asile : une protection insuffisante

Le droit d’asile, tel que défini dans la Convention de Genève de 1951 et dans la législation européenne, offre une protection aux personnes persécutées en raison de leur appartenance ethnique, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques.

Cependant, les victimes de violences sexuelles utilisées comme arme de guerre tombent souvent entre les mailles du filet de cette définition, des interprétations à la tête du client, un clientélisme récupérateur. Or, en RDC, les viols ne sont pas des incidents isolés ou des actes de délinquance ordinaires. Ils sont un outil de guerre délibéré, visant à soumettre des populations entières.

Ce contexte doit être pris en compte dans l’évaluation des demandes d’asile. L’asile en France devrait reconnaître pleinement que le viol de guerre est une forme de persécution systémique, relevant à la fois du statut de réfugié et, au minimum, de la protection subsidiaire, prévue pour les personnes exposées à des menaces graves dans leur pays d’origine, selon des critères brouillon, griffonnées par des bureaucrates et des technocrates au crayon honteux, au stylo tortueux, aux parapheurs grisés, agissant et rugissant tels des animaux en cage, à la case départ sans passer par la banque...

Jurisprudence de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA)

La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a, à plusieurs reprises, reconnu que les victimes de violences sexuelles en RDC peuvent bénéficier du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire.

Parmi les décisions phares, on peut citer :

1. Décision n°15012810, du 7 juin 2016 : la CNDA a octroyé le statut de réfugié à une victime congolaise de violences sexuelles, en se fondant sur la nature systématique et institutionnalisée des viols commis dans le cadre des conflits armés en RDC. La Cour a considéré que les viols étaient utilisés comme un outil de persécution, ciblant spécifiquement les femmes dans les zones de conflit.

2. Décision n°18029094, du 15 mai 2019 : dans ce cas, la Cour a accordé la protection subsidiaire à une femme congolaise ayant fui les violences sexuelles commises par des milices armées. La CNDA a jugé que les autorités de la RDC étaient incapables de fournir une protection suffisante contre ces exactions, justifiant ainsi la reconnaissance de la protection subsidiaire en vertu de l’article L.712-1 du CESEDA.

3. Décision n°17032776, du 12 décembre 2017 : la Cour a estimé que les violences sexuelles subies par une femme en RDC constituaient des actes de persécution systématique au sens de la Convention de Genève. La décision souligne l’incapacité des autorités congolaises à protéger les victimes et la stigmatisation sociale pesant sur ces dernières, renforçant ainsi leur éligibilité au statut de réfugié.

Ces décisions montrent que la CNDA reconnaît progressivement l’impact dévastateur des violences sexuelles dans les conflits armés et le besoin de protection des victimes. Toutefois, ces décisions restent trop souvent conditionnées par la présentation de preuves directes, ce qui est difficile dans des contextes où les violences se déroulent dans des zones reculées et en l'absence de documentation officielle, et ne permettent pas de faire jurisprudence, une forme de prudence à la vue des rancœurs, de la rancune accumulée de ces femmes acculées au départ.

La responsabilité de la France

En vertu de ses engagements internationaux, la France a le devoir moral et juridique de protéger les victimes de violences sexuelles en RDC. Pourtant, la lenteur des procédures, la difficulté de prouver la nature automatique des violences sexuelles, et parfois un manque de compréhension culturelle et historique des enjeux rendent cet accès à la protection incertain, trop lointain, trop éloigné des réalités.

Les victimes qui se présentent en France après avoir échappé à l'enfer du viol en RDC ne cherchent pas uniquement à échapper à la pauvreté ou à des conditions de vie précaires. Elles fuient une violence d'État, une guerre contre leur corps et leur dignité. Refuser l'octroi de l'asile ou de la protection subsidiaire à ces femmes, c’est leur refuser justice une seconde fois, les brutaliser sans ménagement, et les enfermer dans un statut de morte-vivante.

Vers une reconnaissance automatique de la protection

Il est urgent que la France et l'Union européenne adoptent des politiques d'asile qui reconnaissent le viol de guerre comme une cause légitime et suffisante pour l'octroi automatique de la protection internationale.

Un cadre juridique plus souple et sensible aux rebondissements des conflits armés constitueraient la certitude que les victimes de ces violences reçoivent la protection à laquelle elles ont droit. Ce cadre doit aussi inclure des programmes de soutien psychologique et d’accompagnement juridique afin d'aider les survivantes à se reconstruire dans la l’honneur et la dignité, un hymne à la beauté, la bonté de la fraternité entre les peuples.

Conclusion : l'asile, une question de justice

Lutter contre l’utilisation du viol comme arme de guerre en RDC, c’est non seulement une question de protection des droits humains, mais aussi une question de justice internationale. La France, terre d’asile, doit être à l’avant-garde de cette reconnaissance, en offrant refuge et sécurité aux victimes de cette barbarie. Elles ne demandent pas de faveur, elles demandent un droit : celui de vivre libres, dignes et en sécurité, loin de la violence qui les a marquées à vie.

Refuser ce droit, c’est perpétuer le silence sur ces crimes. Il est temps que la France prenne ses responsabilités et mette en œuvre une politique d’asile à la hauteur des tragédies que vivent ces femmes, en accordant systématiquement le statut de réfugié ou la protection subsidiaire à celles qui portent les stigmates de cette guerre invisible, à celles qui sont parties sans crier gare...

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