« Tout va, tout revient, l’éternelle roue de l’être roule », écrivait Nietzsche. L’économie française, de John Law en 1720 à la dette publique de 2025, illustre tragiquement cette logique de l’éternel retour : croyance collective dans une prospérité immatérielle, emballement spéculatif, effondrement inévitable...
Quand Law proposa de substituer au métal rare une monnaie de papier, convertible en or et garantie par la confiance, il inventa le premier grand laboratoire de l’illusion économique.
La Compagnie du Mississippi enflamma Paris avant de s’écrouler dans la panique. Derrière l’innovation, c’était déjà la croyance qui faisait fonctionner la machine : tant que l’on adhère à la fiction, la richesse semble infinie. Quand la confiance s’évapore, tout s’effondre.
Trois siècles plus tard, la France vit à crédit, avec une dette de plus de 115 % du PIB.
Mais cette fois, loin d’inquiéter, l’endettement structurel est devenu le socle même de notre système. Les marchés continuent d’acheter nos obligations, les gouvernements poursuivent la fuite en avant, et la société s’habitue à cette illusion durable : l’État est éternel, sa signature indestructible.
Comme l’avait anticipé Baudrillard, nous évoluons désormais dans une économie de signes détachés du réel, où la dette n’est plus un manque à combler, mais un simulacre autoréférentiel, circulant pour lui-même.
Freud parlait de « compulsion de répétition » : rejouer sans cesse le traumatisme pour tenter de le maîtriser.
La dette française est devenue ce traumatisme collectif : chaque génération l’hérite, chaque gouvernement la prolonge, chaque crise en nourrit une nouvelle. Lacan aurait dit que la dette est notre « signifiant-maître », un vide autour duquel s’organise tout le discours économique. Kafka, enfin, nous rappelle que ce procès ne s’achève jamais : il se reporte sans fin, sans jugement définitif.
La réforme du Pacte de stabilité européen en 2024 n’a fait que renforcer cette logique : repousser, encore et toujours, le moment de vérité. Mais repousser n’est pas résoudre.
Derrière l’apparente maîtrise, c’est bien l’éternel retour de la croyance qui s’impose. Nietzsche posait une question radicale : sommes-nous capables d’assumer ce cycle, de vouloir son éternelle répétition ? Tout indique au contraire que nous préférons l’ignorer, vivre dans l’illusion, plutôt que d’affronter le réel.
« L’homme préfère encore vouloir le néant que de ne rien vouloir », disait Nietzsche. La dette française en est l’incarnation : un néant entretenu, accepté, désiré même, tant il structure notre époque. De John Law au XXIᵉ siècle, nous ne faisons qu’habiller de nouveaux signes la même compulsion tragique : croire, encore et toujours, à la fiction d’une richesse sans fin.
Croire à la fonction de l'empreinte, plutôt qu'à la friction, à l'effraction sur les feuillets de l'impôt, sur les feuilles mortes, et par la porte entrebâillée...
Que l'on bâillonne ou que l'on rayonne, le résultat est similaire, la finalité identique : l'éternel recommencement d'un début, d'un débit fièrement affilié, dont les affidés sont gras et graveleux...
Marie Taffoureau, juriste et philosophe à l'université Paris Nanterre...