On parle beaucoup du masculinisme aujourd’hui, souvent en termes caricaturaux, comme s’il s’agissait d’un bloc unique animé uniquement par une opposition au féminisme. Mais en y regardant de plus près, on découvre qu’il n’existe pas un masculinisme mais une constellation de courants très différents, parfois contradictoires, certains franchement toxiques, d’autres plus constructifs.
Une part importante de ceux et celles qui s’en réclament souhaiterait en réalité réfléchir avec les féminismes sur la place des hommes dans un monde en mutation. Ce dialogue est pourtant rendu difficile par la visibilité médiatique de figures provocatrices, qui diffusent des modèles nostalgiques, brutaux et hiérarchiques, séduisant de jeunes hommes en quête de repères.
Pour beaucoup, ces figures deviennent une sorte de grand frère viriliste, qui remplace une figure paternelle absente. Mais ce retour idéalisé vers un passé imaginaire enferme à nouveau les hommes dans une vision étriquée d’eux-mêmes.
Historiquement, le masculinisme s’inscrit dans une histoire longue : dès le début du XXe siècle, des auteurs comme Théodore Joran dénonçaient déjà la remise en question de la place des hommes dans la société. Plus tard, dans les années 1970-1980, les MRA (Men’s Rights Activists) se sont structurés autour de revendications concrètes, notamment la défense des droits des pères après un divorce, estimant que les décisions judiciaires leur étaient systématiquement défavorables. Ce combat exprimait une inquiétude sincère face à des repères familiaux en pleine recomposition...
Mais d’autres sensibilités ont émergé, marquant la fragmentation du masculinisme contemporain. Les MGTOW (Men Going Their Own Way) prônent ainsi un retrait volontaire des relations avec les femmes, affirmant que la société leur serait irrémédiablement défavorable.
Ce courant mêle hommes désabusés revendiquant simplement un célibat assumé et individus plus amers dont les discours basculent parfois dans la misogynie.
Plus marginal, mais tristement célèbre, le phénomène "Incel" (Involuntary Celibate) désigne des jeunes hommes isolés socialement, qui expriment leur frustration sexuelle par des discours violents, nourris de ressentiment envers les femmes et la société.
À côté de ces figures radicales, des penseurs comme Warren Farrell ont adopté une approche plus analytique : dans The Boy Crisis, il insiste sur la vulnérabilité des garçons grandissant sans père, leur difficulté à trouver leur place, leur risque de décrochage scolaire, leur solitude affective.
Ces constats rejoignent les travaux de Jean-Louis Auduc, qui pointe la difficulté pour certains garçons à s’adapter à un système éducatif valorisant des qualités où ils apparaissent en difficulté, révélant une crise plus large dans leur rapport à l’intime, aux émotions, à la représentation d’eux-mêmes.
Il faut donc reconnaître que les MRA, MGTOW et Incels ne forment pas un bloc cohérent : beaucoup d’hommes qui se disent "masculinites" ne se reconnaissent ni dans les postures hostiles des uns, ni dans la misanthropie des autres.
Une grande partie n’aspire pas à un affrontement avec les féminismes, mais voudrait simplement exprimer des fragilités, des inquiétudes face à un monde qui change vite.
Ce sont les discours radicaux, bruyants, qui masquent cette diversité et empêchent ces voix plus mesurées d’exister publiquement.
Pourtant, leur écoute serait précieuse pour éviter que de jeunes hommes, marqués par l’absence de repères ou par des blessures intimes, ne se laissent séduire par les idéologies violentes, nostalgiques d’un passé où la virilité se définissait par la domination et le rejet de l’autre.
Là où il faudrait inventer des modèles masculins plus libres et égalitaires, ces discours radicaux figent, fixent à nouveau les repères dans une impasse. C’est pourquoi il est urgent d’ouvrir des espaces apaisés où hommes et femmes puissent redéfinir ensemble des identités plus souples, moins figées, plus humaines...
Au fond, écouter ces voix masculines nuancées, c’est peut-être la meilleure façon d’éviter que les frustrations et les caricatures ne laissent tout l’espace aux figures radicales qui ne représentent qu’elles-mêmes.
Plutôt que de laisser s’enfermer ces débats dans des postures figées, il serait temps de reconnaître que certains de ces "masculinistes" ne cherchent pas l’affrontement, mais voudraient simplement penser, à leur manière, ce que signifie être un homme aujourd’hui et beaucoup d’entre eux gagneraient à pouvoir le faire aux côtés des féministes, dans un dialogue véritablement égalitaire.
Encourager cette discussion sincère, c’est sans doute la seule manière d’éviter que les plus jeunes ne se laissent séduire par des modèles rigides, violents ou dépassés, et qu’ensemble nous puissions construire des rapports plus justes, plus libres, plus humains. En d'autres termes, sans la main de fer instaurée par un Etat "Big Brother"...
Marie Taffoureau, étudiante à Paris Nanterre et philosophe...