Les révélations sur les exactions du RAID à Marseille, dans les nuits qui ont suivi la mort de Nahel Merzouk en 2023, ne sont pas seulement un scandale policier. Elles constituent le symptôme d’un malaise sociologique profond : celui d’une société qui peine à reconnaître ses fractures et préfère les gérer par la force, que par le dialogue.
Quand la violence traduit une peur sociale
Les coups, tirs injustifiés et mutilations rapportés par l’enquête de Libération révèlent une réponse institutionnelle qui dépasse la simple logique de maintien de l’ordre.
Derrière les flashballs et les descentes musclées, il y a une peur diffuse : celle de classes sociales dominantes face à une jeunesse urbaine, souvent "racisée", considérée non comme partie intégrante du corps social, mais comme une menace potentielle.
Comme l’a montré Didier Fassin dans La Force de l’ordre, la violence policière ne se réduit jamais à des "bavures" isolées. Elle est souvent l’expression d’une hiérarchie morale implicite, où certaines vies sont socialement plus protégées que d’autres.
Dans ce cadre, les exactions du RAID ne traduisent pas seulement l’usage de la force : elles révèlent un système de stratification sociale et raciale profondément enraciné.
Une marginalisation qui se répète
Marseille n’est pas un hasard. Ville populaire marquée par les inégalités, elle est un laboratoire de ces tensions. Les quartiers nord, souvent délaissés par les services publics, deviennent le théâtre d’un contrôle policier intensif.
Loïc Wacquant, dans Les Prisons de la misère, analyse comment l’État moderne externalise la régulation sociale sur les populations marginalisées : la répression remplace la prévention, la coercition compense l’absence d’intégration sociale.
Ainsi, les violences policières ne sont pas seulement des abus : elles traduisent une politique implicite où la marginalité structurelle et la stigmatisation se conjuguent pour maintenir l’ordre social.
L’État, le mythe de l’autorité et la fracture civique
Max Weber définissait l’État par son monopole de la violence légitime. Mais lorsque cette violence perd sa légitimité aux yeux d’une partie de la population, la confiance civique s’effondre, s'évapore tout simplement.
Les habitants et les habitantes qui voient leurs proches éborgnés ou mutilés par des tirs policiers ne perçoivent plus l’État comme protecteur mais comme un acteur coercitif.
Pierre Bourdieu, dans La Misère du monde, montre que la violence symbolique — celle de l’invisibilisation ou de la stigmatisation des classes populaires — s’articule souvent avec la violence physique, produisant un sentiment d’exclusion et de relégation.
Vers une société fragmentée ?
La multiplication de ces épisodes nourrit un cercle vicieux :
plus la confiance diminue, plus la contestation explose ;
plus la contestation explose, plus la répression s’intensifie.
Cette logique enferme les quartiers populaires dans une marginalité structurelle et alimente les replis identitaires, fragilisant la cohésion sociale et nationale.
Réinventer le lien plutôt que d’entretenir la fracture
Face à ce constat, une réponse purement judiciaire — sanctionner quelques agents fautifs — ne suffit pas. Il faut repenser la place de la police dans la société, et surtout la place de ces populations dans la République. Didier Fassin insiste sur la nécessité de combiner justice et inclusion sociale pour restaurer la légitimité de l’État. Cela passe par :
un retour effectif des services publics dans les quartiers ;
une éducation à l’égalité et au respect mutuel ;
des mécanismes de médiation et de dialogue entre institutions et habitants ;
une déconstruction des représentations "racialisées" et stigmatisantes qui traversent l’action policière.
Conclusion
Ce que révèlent les nuits de Marseille, c’est moins une série de bavures, que le miroir d’une société qui préfère brandir l’autorité plutôt que soigner ses inégalités. Tant que la République n’assumera pas l’exigence de justice sociale et d’inclusion, elle continuera à produire des fractures que ni le RAID ni les LBD ne pourront jamais combler. Ni avec du CBD, voire acheter la tranquillité en échange de la fumette : une vaste fumisterie !