Le 23 juillet 2025 restera dans l’histoire comme un tournant majeur dans la reconnaissance juridique de l'injustice climatique. Ce jour-là, la Cour internationale de justice (CIJ), plus haute juridiction des Nations unies, a rendu un avis consultatif d’une portée politique et symbolique considérable : les États qui bafouent leurs obligations climatiques commettent un acte « internationalement illicite » et peuvent être tenus de réparer les préjudices causés.
Une victoire pour le droit. Une lueur d’espoir pour les peuples en première ligne face à la crise climatique.
Depuis des décennies, les pays du Sud, îles du Pacifique en tête, dénoncent une hypocrisie historique virant à l'hystérie : ceux qui polluent le plus ne paient pas pour les dégâts qu’ils infligent.
Cette asymétrie, à la fois morale et économique, nourrit la colère de ceux qui subissent inondations, sécheresses, déplacements forcés, tandis qu’ils n’ont quasiment pas contribué au réchauffement planétaire.
Le Vanuatu, petit État insulaire vulnérable mais courageux, a su porter cette voix auprès de l’ONU, avec une persévérance admirable. Grâce à lui, les questions fondamentales ont été posées : de quelles obligations les États sont-ils dépositaires ? Et que faire lorsqu’ils échouent à les respecter ?
L’avis de la CIJ répond avec clarté et fermeté. Il rappelle que les engagements environnementaux ne sont pas de simples promesses politiques mais des devoirs juridiques. Il affirme qu’un État qui subventionne les énergies fossiles, autorise leur extraction ou ne réduit pas ses émissions porte une responsabilité. Mieux : il établit que des réparations, sous forme d’indemnisation ou de restitution, doivent être envisagées au profit des États lésés.
Il s’agit certes d’un avis consultatif, sans force contraignante immédiate. Mais dans le droit international, les mots comptent. Les juges ont posé des principes, défini des lignes rouges, nommé les torts. Et surtout, ils ont tracé un cadre pour les futurs contentieux et négociations autour des "pertes et dommages", ce sujet longtemps tabou dans les COP. Désormais, aucun État pollueur ne pourra dire : « nous ne savions pas », « nous ne devons rien ».
Cette décision est aussi remarquable par son articulation entre justice environnementale et droits humains, entre les différentes humaines que l'on porte au pinacle...
Elle rappelle que vivre dans un environnement sain est une condition préalable à l’exercice des droits fondamentaux : droit à la vie, à la santé, à un logement digne...
La CIJ va plus loin encore en reconnaissant les obligations des États envers les réfugiés climatiques, notamment le respect du principe de non-refoulement. Oui, les dérèglements climatiques peuvent rendre des régions inhabitables. Oui, des millions d’individus auront besoin de protection internationale. Et non, l’inaction ne saurait rester sans conséquences.
Ce signal fort vient à un moment où les effets de la crise se font toujours plus tangibles. La hausse de 1,1°C de la température mondiale depuis l’ère préindustrielle n’est pas qu’un chiffre : elle annonce des bouleversements systémiques. Pourtant, les leviers pour agir sont là : transition énergétique, fin des subventions aux fossiles, sobriété, solidarité climatique. Ce que cette décision consacre, c’est l’urgence de changer non seulement les pratiques, mais aussi les responsabilités.
Car au fond, la question n’est pas uniquement juridique. Elle est éthique. Elle interroge le contrat social mondial. Qui paie ? Qui décide ? Qui protège ?
À travers cet avis, la CIJ réintroduit le principe de justice au cœur de l’action climatique. Et elle envoie un message à tous les gouvernements : il n’est plus temps de tergiverser. L’Histoire vous regarde. Les peuples vous jugeront. Et désormais, la justice vous rappellera à l’ordre. Qu'il soit dénaturé, défiguré ou tout simplement, à la fois, spectateur et inspecteur, mais toujours respectueux d'un droit des gens, aujourd'hui encore trop déjanté par la junte ou jusqu'au livre de la jungle, dans son gilet pare-balles en givre...
Mehdi Allal
Juriste en droit international public, docteur en sciences politiques, spécialiste des enjeux de justice globale et de gouvernance environnementale. A Pénélope Cosset et Anne-Laure Jeanvoine...