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Attaché principal des administrations parisiennes / Chargé de mission "Promesse républicaine" (DDCT) / Chargé de TD en droit constitutionnel à Paris Nanterre / Fondateur & Responsable du pôle "vivre ensemble" du think tank "Le Jour d'Après" (JDA) / Président de l'association La Casa Nostra / Membre du club du XXIème siècle / Secrétaire-adjoint de l'association des rapporteurs.trices de la CNDA (Arc-en-ciel) / Fondateur du média "De facto" / Député de l'Etat de la diaspora africaine (SOAD)

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Billet de blog 25 septembre 2024

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Les coups d’État au Sahel, signe ou symptôme d’un rejet de l’emprise néocoloniale ?

Par Mehdi ALLAL, fonctionnaire territorial, enseignant en droit constitutionnel et sciences politiques à Paris Nanterre, chercheur à l'université Paris 2, secrétaire-adjoint de l'association des rapporteurs/trices de la CNDA (Arc-en-ciel), militant du PCF 20e et membre du club du 21è siècle, bénévole pour l'Entraide amicale solidaire (ESA) 20e et pour l'ONG "La ligue humanitaire"...

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Les coups d’État au Sahel, signe d’un rejet populaire de l’emprise néocoloniale et de la déstabilisation par le djihadisme

En trois ans, trois coups d'État ont secoué la région du Sahel : au Mali en mai 2021, au Burkina Faso en septembre 2022, et plus récemment au Niger en juillet 2023. Ces événements ont bouleversé l’équilibre politique et social de la région, tout en impactant les relations avec l’ancienne puissance coloniale, la France. Pour les médias dominants, il s’agirait de coups d’État « classiques », menés par des juntes militaires corrompues, symboles de luttes de pouvoir internes. Mais cette lecture simpliste ne suffit pas à comprendre les dynamiques profondes qui traversent ces pays.

Dès leurs débuts, ces coups d’État se sont démarqués par une forme de soutien populaire. En effet, des mouvements sociaux, des syndicats, des organisations sociales et des jeunes militants ont, à divers degrés, manifesté leur appui aux nouvelles autorités militaires. Ce phénomène soulève une question essentielle : pourquoi une partie de la population, souvent laissée en marge des décisions politiques, s’est-elle mobilisée en faveur de ces renversements de pouvoir ?

La réponse réside en partie dans le rejet croissant de l'emprise néocoloniale sur la région. Depuis des décennies, les populations du Sahel se heurtent à la persistance des structures de domination économique, politique et militaire héritées de l’époque coloniale. Les interventions étrangères, notamment françaises sous couvert de lutte contre le terrorisme, sont de plus en plus perçues comme des instruments de maintien de l’ordre postcolonial. Cette perception est amplifiée par l’échec de ces opérations à apporter la sécurité ou le développement escompté.

L'écrivaine Aminata Dramane Traoré, militante altermondialiste et auteure de L’Afrique humiliée, a souligné à plusieurs reprises que les interventions militaires occidentales, en particulier au Sahel, ne servent qu’à protéger les intérêts économiques et géopolitiques étrangers. Elle explique que ces interventions exacerbent les tensions locales et alimentent un ressentiment généralisé contre les élites politiques associées à ces puissances extérieures.

Par ailleurs, le rôle croissant du djihadisme international dans la région ajoute une autre dimension à cette crise. Depuis 2012, le Sahel est devenu un foyer majeur de l’insurrection djihadiste, en particulier après la chute de Kadhafi en Libye. Les groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique (EI) exploitent les faiblesses des États, les tensions ethniques et les frustrations socio-économiques pour s’étendre et contrôler des portions croissantes de territoire, notamment dans les zones rurales.

L’écrivain burkinabé Joseph Ki-Zerbo, dans son ouvrage À quand l’Afrique ?, avertissait déjà que l’absence de réponses adaptées aux besoins des populations africaines et la déconnexion entre les gouvernements et leurs citoyens créent un terrain fertile pour l'extrémisme. Selon lui, c’est l’aliénation des peuples, conjuguée à la pauvreté, qui constitue le socle du développement des groupes armés, plus que la seule influence extérieure.

La montée du djihadisme a contribué à une instabilité permanente qui alimente l’effondrement des États. Les populations, fatiguées par l’incapacité des gouvernements à les protéger, voient parfois en ces coups de force militaires une solution à court terme, une forme de solution toute faire, une forme de solution "miracle", à l'urgence sécuritaire. Felwine Sarr, auteur de Afrotopia, évoque la nécessité pour l’Afrique de se réinventer, de se défaire de ses structures néocoloniales et de créer un modèle basé sur des valeurs propres et la démocratie participative. Les récents coups d’État reflètent cette quête d'une nouvelle voie politique, libérée des carcans imposés par l'Occident.

Le récent retrait des forces françaises du Niger marque un tournant dans les relations franco-africaines. Face à l'insistance de Paris pour maintenir une présence militaire au Sahel, les nouvelles autorités nigériennes, soutenues par une partie significative de la population, ont fermement rejeté cette option. Ce retrait ne fait que renforcer l’idée que la France, malgré son discours sur la sécurité, est perçue comme un acteur dont les intérêts ne coïncident plus avec ceux des peuples du Sahel.

Pour les peuples du Mali, du Burkina Faso et du Niger, ces coups d’État représentent non seulement une rupture avec un ordre politique défaillant, mais aussi une opportunité d'avancer vers des modèles de développement autocentrés et autodéterminés. Le but inavoué : échapper à la tutelle des puissances extérieures imposant des solutions qui ne répondent ni aux besoins ni aux aspirations locales. La quête d'une véritable indépendance se manifeste donc dans le soutien populaire à ces mouvements militaires, bien qu'imparfaits, perçus comme porteurs d'un renouveau, d'un renouvellement de la classe politique.

Aujourd’hui, la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et d’autres institutions internationales tentent de rétablir l’ordre démocratique par des sanctions ou des interventions potentielles, par exemple de nature humanitaires. Cependant, ces mécanismes sont perçus par une partie des populations comme des extensions de l’influence occidentale. Ce qui se joue au Sahel aujourd'hui est plus complexe qu'une simple lutte pour le pouvoir. Il s'agit d'une lutte pour l’autonomie, la souveraineté et la redéfinition de l’avenir. Il est temps que les observateurs occidentaux, y compris les médias, dépassent la grille d’analyse étroite des « coups d'État militaires » et reconnaissent la légitimité des revendications populaires qui les sous-tendent.

Ces événements s’inscrivent dans une dynamique globale de remise en question des rapports Nord-Sud. La mobilisation des peuples du Sahel, comme l'a souligné Achille Mbembe dans Critique de la raison nègre, est une manifestation d’un désir plus large d’émancipation des structures de domination internationales. Ces sociétés réclament une véritable indépendance politique et économique, et leurs voix ne peuvent plus être ignorées, isolées, étouffées; sous peine d'un exil forcé des intellectuel.le.s, voire des métiers les plus prisés, une porte de sortie autrement dénommée "fuite des cerveaux"...

Ces sociétés, le plus souvent livrées à elles-mêmes ne demandent aucunement l"a charité", mais simplement de pouvoir s'épanouir en toute quiétude et de voir s'évanouir les entreprises de déstabilisation, quelle que soit leur motif, leurs origines, internes ou externes, leur objectifs, louables ou non, une obsession quasi-systématique à malmener les populations civiles pour obtenir un semblant de légitimité.

Le maintien de l'ordre est un facteur important pour les peuples de ces pays, mais s'il est nécessaire, il n'est sûrement pas suffisant : l'éducation, la formation, la construction d'infrastructures pérennes, les échanges commerciaux... en bref, tout le développement économique... passe par d'autres canaux, qui exigent plus de patience, mais aussi de l'impertinence face aux tentatives d'ingérence, mais également la volonté de retrouver la voie de l'autodétermination pacifique.

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