🏛️ Analyse juridique – par Mehdi Allal
Docteur en droit public, enseignant à Sciences Po et avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit constitutionnel et libertés publiques...
Dans son étude récente, le Conseil d’État revient sur une idée fondatrice du constitutionnalisme démocratique : la souveraineté populaire entendue comme liberté pour le peuple de choisir son destin.
Cette conception, loin d’être seulement théorique, se heurte aujourd’hui à une double crise : celle de la représentation et celle de l’efficacité de l’action publique.
Les quatre propositions évoquées par Fabien Raynaud visent à revitaliser la démocratie française, à partir d’un constat partagé : l’exercice de la souveraineté doit être réarmé juridiquement, politiquement et culturellement.
1. Réhabiliter les canaux classiques de la démocratie : représentative et directe
Conformément à l’article 3 de la Constitution de 1958, la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par voie de référendum.
Mais le principe, aujourd’hui, s’érode. L’abstention croissante, la défiance envers les partis politiques et les élus, ou encore la faible mobilisation autour du référendum d’initiative partagée (RIP) traduisent une crise de légitimité.
Le Conseil d’État souligne à juste titre la nécessité de réhabiliter le rôle des partis (article 4 de la Constitution) et des élus, y compris locaux.
Il invite également à dresser un bilan du non-cumul des mandats, qui, s’il a clarifié les fonctions, a parfois éloigné les parlementaires de leur ancrage territorial.
La création d’un véritable statut de l’élu local, aujourd’hui morcelé, apparaît comme une urgence pour redonner sens à l’engagement public.
S’agissant de la démocratie directe, plusieurs verrous juridiques mériteraient d’être levés.
La proposition de réviser l’article 11 de la Constitution pour élargir le champ du référendum, voire créer une initiative citoyenne autonome, constituerait une avancée majeure.
Ces évolutions exigeraient une révision constitutionnelle (article 89), mais elles pourraient réconcilier le citoyen et la citoyenne avec l’outil référendaire, aujourd’hui perçu comme inaccessible.
2. Renforcer l’exercice de la citoyenneté par la formation et la lutte contre les manipulations
Le Conseil d’État a raison d’identifier l’éducation civique comme levier stratégique.
La citoyenneté ne s’improvise pas : elle s’apprend.
Renforcer l’enseignement des institutions, des droits et des devoirs, du fonctionnement de l’État de droit, y compris via des témoignages d’élus et d’agents publics, permettrait de tisser un lien de confiance dès l’école.
Par ailleurs, dans un contexte marqué par les infox, la polarisation du débat public et la montée de l’abstention, la maîtrise des outils numériques et de l’information est centrale.
Il s’agit ici non seulement d’un enjeu d’éducation, mais aussi de garantie du pluralisme de la presse – pilier essentiel de toute démocratie libérale (article 11 de la Déclaration de 1789).
3. Faire de la résilience citoyenne un impératif démocratique : l’esprit de défense
La troisième proposition élargit la notion de citoyenneté à une dimension souvent négligée : l’esprit de défense.
Dans un monde marqué par l’instabilité géopolitique, la transition écologique et les menaces hybrides, la résilience collective suppose des citoyens et des citoyennes informés, formés et mobilisables.
La souveraineté nationale n’est pas qu’un principe juridique : elle repose aussi sur la capacité d’un peuple à affronter ensemble les crises.
4. Réformer la fabrique de la norme et les services publics pour une action publique plus légitime
L’efficacité des services publics, cœur du contrat social républicain, est directement liée à la confiance dans les institutions.
L’étude du Conseil d’État sur le dernier kilomètre de l’action publique met en lumière la nécessité de repenser la norme : plus claire, plus compréhensible, plus adaptée aux réalités de terrain.
Les juges, en ce sens, jouent un rôle clé. En garantissant la hiérarchie des normes, en assurant la suprématie de la Constitution (y compris via la QPC), ils participent à l’équilibre institutionnel et à la protection des droits fondamentaux.
La justice n’est donc pas en marge du débat démocratique : elle en est l’une des clefs.
Conclusion : pour une réforme constitutionnelle à hauteur de citoyen
La France ne manque pas d’institutions ni de droits. Elle souffre d’un décrochage entre les normes et les attentes des citoyens et des citoyennes.
Les propositions du Conseil d’État, sans trancher politiquement, esquissent des pistes sérieuses pour refonder la citoyenneté, dans une logique de participation accrue et de régénération démocratique.
Mais réformer sans réviser la Constitution atteint vite ses limites. La réactivation des outils de démocratie directe, le renforcement du statut de l’élu, la clarification des compétences, ou encore la simplification de la norme exigent une relecture du pacte constitutionnel, avec un objectif : rendre au peuple la pleine maîtrise de son destin démocratique.
Que ce soit au prix d'une prise de distance avec la bureaucratie bruxelloise ou en cherchant des noises à un législateur pris de court par son manque de philosophie déiste...
Mehdi ALLAL
Docteur en droit public.
Avocat – Enseignant à Sciences Po.
Spécialiste en institutions constitutionnelles et droit des libertés publiques...
A Diangafaye, ses analyses des failles du système politique français, son bail légendaire avec la République, et ses rails vers l'enfermement rassurant et mortel, vers une porte dont l'entrebâillement a été à peine ouvert, depuis le corridor où vient se lover le condor des Alpages peinturluré avec de l'aquarelle, et des séquelles, des querelles dans le crâne, tout en haut du cratère...