par Mehdi Thomas ALLAL,
Auteur et enseignant
Kossi ATSU,
Conseiller politique
Marc CHEB SUN,
Directeur éditorial dailleusetdici.news
Slimane TIRERA,
directeur de NewVO Radio
Benjamine WEILL,
Philosophe
Comme à l’accoutumée, Pierre-André Taguieff ne fait pas dans la mesure pour contribuer à critiquer mon dernier article sur la « discrimination positive »… Sans revenir sur bon nombre d’approximations intellectuelles distillées par ce grand penseur du racisme et de ses préjugés, je préfère répondre sur le fond de cette affaire : la crise du communautarisme et le risque d’ « américanisation » de notre société.
Simplement, pour compléter et comparer le portrait ad hominem que brosse de moi Pierre André Taguieff, je rajouterai quelques souvenirs d’enfance : deux passages dans des commissariats (jeunesse oblige) où je me suis successivement entendu dire « Tu es sale comme ton père », et « fais-nous la danse du ventre, Mehdi Allal ». On a beau être en classe préparatoire, l’ingénuité se perd vite, et parfois cela dessine un chemin.
Prédire ou prévoir une ghettoïsation de l’espace public, alors que les ghettos sont déjà là, témoigne d’un contresens parfait : les communautés existent depuis des millénaires en France, et la « discrimination positive » est un moyen de les dépasser en ouvrant le champ des possibles. La « discrimination positive » est, en effet, fondée sur la multiplication de parcours d’insertion sociale et professionnelle, qui doivent permettre d’extraire des centaines de jeune des quartiers, au delà de leurs appartenances multiples et variées, en leur offrant un avenir ; autrement dit, elle devrait viser à créer un cadre inclusif ayant pour but de faire éclore les talents de la diversité au service de la République ; bien évidemment, les aller-retour avec nos racines sont loin d’être exclus. Mais la préservation de l’intérêt général et la conquête de nouveaux acquis, afin de réduire la fracture et la facture « ethnique », sont les nouveaux maîtres mots.
Les défenseurs du multiculturalisme, tels que par exemple Will Kymlicka, nous enseignent que l’un des angles et un des atouts de cette philosophie réside dans la capacité à dépasser les frontières et à transgresser certaines règles communautaires, dont doivent disposer les personnes issues des minorités « visibles ». La mobilité entre les différentes composantes qui appartiennent et qui témoignent du melting pot et du creuset américain constituent un facteur incontournable de bien-être et d’amélioration du vivre ensemble.
Le mérite républicain a cette faculté de réparer l’ascenseur social en permettant de dépasser les conflits. Pourquoi ne pas inventer de nouveaux dispositifs en faveur de la promotion des quartiers populaires, autrement que par la compétition et la « guerre » de tous contre tous ? Pourquoi toujours juger en érigeant le mérite comme un rempart indépendant, face à tous les autres principes qui témoignent du besoin de fraternité et de compassion dans notre société ? Pourquoi idôlatrer le mérite, sans se donner la peine d’en faire l’évaluation ? Quel est le lien précis entre le mérite et l’acquisition des compétences nécessaires au développement de notre économie ? Comment adapter ces compétences et la reconnaissance des origines, sans dénaturer le principe constitutionnel de libre concurrence ? Quels sont les liens entre l’école et l’acquisition de ces compétences ou de ces savoirs ? L’Éducation nationale et l’enseignement supérieur doivent-ils se consacrer à la déclinaison des fondamentaux, tout en reniant l’apprentissage de la curiosité, de l’ouverture d’esprit et de la pensée critique ?
Car, accompagner les personnes issues des minorités « enrichissantes » vers davantage de responsabilités est une tradition ancestrale. Le triste spectacle du cloisonnement des identités, ainsi que de l’absence de dialogue interculturel et intercultuel, ne doit pas conduire à abandonner les mécanismes ad hoc de solidarité qui font sens et qui font société, ni à détruire les multiples symboles auxquels les citoyennes et les citoyens sont attachés.
Enfin, pourquoi dénigrer l’antiracisme, en considérant que ses avocats en tirent un fonds de commerce ou une rente ? Certes, les minorités peuvent être dictatoriales dans leur façon de penser… Certes, il existe des abus de ce que qu’on appelle la « Cancel culture », comme le déboulonnage des statues ou le cyber-harcèlement… Mais la répudiation - la mise à l’index -, la réputation ou le rire ne sont-ils pas l’arme des plus faibles et des moins fortunés ?