Dès la fin des années 1980, suite à un rapport de l’institut Montaigne, les pouvoirs publics tiraient la sonnette d’alarme : les jeunes issus des banlieues constituaient des cohortes entières de potentiels salariés à intégrer et à accompagner sur le plan professionnel. Le constat était simple : la France n’aurait pas besoin de nouvelle vague d’immigration, puisqu’elle disposerait déjà sur place des forces vives nécessaires au développement de son économie. La révolte des banlieues à l’automne 2005 n’a fait que renforcer ce constat.
Des études, telles que celle du Conseil d’analyse de la société (CAS)[1], avaient indiqué des pistes. Une politique de « discrimination positive » devait permettre d’identifier et de sélectionner ces jeunes de cité pour les amener à exercer des responsabilités dans le monde du travail et la fonction publique. Ce constat n’a pas changé. L’élaboration d’une élite républicaine « métissée » doit constituer la feuille de route de notre gouvernement.
Cette élite serait constituée par des Blanc-he-s, des Noir-e-s, des Arabo-Musulman-e-s, des Latinos, des Asiatiques, sans distinction de religion, de genre, d'orientation sexuelle, de convictions politiques ou syndicales, ou de race. L’identité ne représente pas un facteur de division, si elle est utilisée à bon escient ! L’identité recouvre une réalité dans nos sociétés contemporaines qu’il serait vain de vouloir négliger, en dépit des Cassandre qui considèrent qu’elle nuirait à la reconstruction de la gauche. La gauche est-elle si mal en point pour désigner une entité comme susceptible de la menacer dans son existence ? La gauche a-t-elle besoin de se démarquer si ostensiblement de la réalité multiculturelle de nos sociétés occidentales ? La gauche serait-elle en voie à refuser la complexité d’une notion nouvelle en sciences sociales, dont elle se veut à l’avant-garde ?
La droite en France a su s’emparer du concept plus marketing de « diversité » pour garantir le bien-être de nos organisations. Il est reconnu que cette diversité constitue un gage de performance et de richesse dans la lutte impitoyable que se livrent nos entreprises dans la mondialisation.
Et ces entreprises souhaitent à tout prix éviter les dommages collatéraux des politiques de « name & shame » qui sont susceptibles de s’abattre sur elles … Un an après la promulgation de la loi Égalité & Citoyenneté, certaines mesures s'appliquent aujourd'hui très concrètement, comme l'obligation pour les entreprises de plus de 300 salariés d'inscrire leurs recruteurs à des formations à la non-discrimination.
Les partis politiques conservent une grande part de responsabilité dans la diffusion de ces valeurs. Ils ne concourent pas simplement à l’expression du suffrage universel en vertu de la Constitution. Ils ont pour objectif de concevoir et de promouvoir des modèles de réussite sociale susceptibles de jouer un effet d’entraînement pour l’ensemble des minorités. C’est à ce prix que les politiques de lutte contre les discriminations constitueront un facteur de réduction des inégalités pour le plus grand nombre.
La réduction des inégalités constitue un objectif louable à condition de toucher tous les publics, quelle que soit leur origine. Le combat pour l’égalité ne se distingue pas de la recherche d’une plus grande justice sociale : cette même justice invoquée par les penseurs anglo-saxons tels que John Rawls ou Amartya Sen pour justifier un ciblage des politiques publiques sur les publics les plus faibles.
Il n’en reste pas moins nécessaire de remettre en cause le modèle républicain, en prenant en compte les origines dans l’accès aux ressources. Une élite métissée pourra voir le jour à condition de modifier le préambule de la Constitution et l’article 1er de la Constitution, qui prohibe toute distinction fondée sur la race, l’origine ou la religion. Le critère du sexe a déjà permis de prévoir des quotas dans l’accès aux responsabilités politiques et professionnelles… Il suffit d’introduire un concept de diversité socio-culturelle ou d'identité pour promouvoir des quotas de jeunes d’origine immigrée, comme cela se fait déjà en fonction de leur lieu de résidence pour les emplois francs. Le travail des minorités ne doit pas être minoré par rapport à celui des personnes de sexe distinct. Les minorités sont trop souvent reléguées au rang de souffre-douleur dans leur quête de visibilité et de notabilité.
Cette visibilité et cette notabilité sont une condition nécessaire, mais non suffisante, de leur meilleure acceptation par le corps social. Ce rôle de locomotive est essentiel pour tisser, et non pour briser, des liens de solidarité avec leurs communautés d’origine. Le risque d’une communautarisation des liens sociaux constitue une réalité.
Pourtant, la communauté constitue un socle pour mettre un pied à l’étrier des jeunes des quartiers. Pourquoi ne pas en tenir compte ? Au nom de quels principes républicains doit-on négliger une économie, parfois souterraine et dommageable pour la sécurité de nos concitoyens. La laïcité ? Le principe d’égalité ? L’indivisibilité du peuple français ?
La contradiction est à prendre au sérieux. Le principe d’égalité doit néanmoins se muer en un principe d’équité pour toucher toutes les catégories de population. Quant au principe de laïcité, il est malmené par la prédominance des religions chrétiennes sur les minorités juives et musulmanes. Enfin, le principe d’indivisibilité doit être concilié avec la résidence sur le territoire français de peuples, tels que les Corses ou les Bretons, distincts par leur histoire ou leur langue.
Le modèle républicain est un modèle qui a prouvé ses mérites. Il est nécessaire cependant de l’adapter pour en faire un modèle de nouveau efficace. Le risque de radicalisation d’une partie de notre population passe par un aménagement de nos grands principes du vivre-ensemble. C’est à cette condition que la France retrouvera ses couleurs, notamment sur la scène internationale. L’occident doit oser pour intégrer ses minorités, sans piller les ressources des pays émergents et du tiers-monde. Les collectivités territoriales ont su jouer un rôle essentiel, comme par exemple la Ville de paris … et la décentralisation s’est muée en un principe d’autonomisation des populations qui les composent. C’est désormais à l’Etat de se transformer, en redonnant à la société civile toute sa superbe.
[1] Conseil d’analyse de la société, « Pour une société de la nouvelle chance ». Une approche républicaine de la discrimination positive, La documentation française, Paris, 2005.