Les quotas sont brutaux. Ils nient une part de notre identité et de nos origines. Ils permettent néanmoins de rétablir une certaine égalité aveugle aux différences. Comment prendre en compte la progression de carrière à partir des quotas et faire en sorte que les bénéficiaires de ce type de dispositifs ne soient pas stigmatisé-e-s une fois parvenu-e-s aux responsabilités ? Faut-il faire en sorte d’oublier la provenance de leurs bénéficiaires ou au contraire constamment leur rappeler leurs droits et leurs devoirs vis-à-vis de la communauté d’appartenance ?
Des auteurs comme Will Kymlicka ou Amartya Sen ont prouvé que les identités n’étaient pas figé-e-s. La citoyenneté multiculturelle s’acquiert en laissant la possibilité de changer de communauté au gré des choix individuels. La liberté constitue une notion également à prendre au sérieux. Le choix des identités n’est cependant pas étranger au contexte social dans lequel il s’effectue. La société doit pouvoir promouvoir cette liberté de choix. Mais la fidélité aux origines est primordiale. Effacer les appartenances, oui ! Mais laisser tomber ses racines, c’est se priver d’un socle indispensable pour continuer.
Les racines ne font pas que des prisonnières et des prisonniers. Elles permettent de s’extirper et de se libérer de son statut d’esclave. La vie vaut d’être vécue, si et seulement si les origines sont prises en compte. Ces origines doivent pouvoir faire refaire surface de temps à autre, et il appartient aux pouvoirs publics de leur faire une place. Donner une place aux origines est gratifiant pour les minorités. Le choix de se différencier est complexe. La filiation joue également son rôle. Choisir son identité, voire son apparence, c’est aussi choisir entre ses parents, entre sa mère et son père. La psychologie des individus entre en ligne de compte. Être coupé de son père ou de sa mère, c’est se priver d’une fierté essentielle à l’accomplissement de l’individu.
Militer pour retrouver ses origines à travers la filiation constitue une tâche ardue. « Le chemin est long et la pente est rude… ». Le modèle familial, comme l’a expliqué Emmanuel Todd dans le destin des immigrés, et pas seulement la religion, joue un rôle dans le processus d’intégration. La politique est impuissante parfois à comprendre ce modèle. Mais la transposition des modèles familiaux représente indéniablement un facteur de progrès. La famille est un espace d’intégration incontournable. La transmission est intemporelle. La transmission ouvre la voie au progrès.
La religion n’est pas seulement « l’opium » du peuple. La religion possède des vertus émancipatrices. Tout au long de l’histoire, elle a servi à combattre l’esclavage et le travail forcé du côté des minorités ; elle a permis de se réapproprier le combat pour la liberté. Famille et religion, Travail et patrie ne font cependant pas bon ménage. La religion ne doit pas dicter ses préceptes à la famille ; la vie privée est indispensable, et la frontière avec la vie publique est parfois ténue. La patrie est inconciliable et irréconciliable avec le travail, qui se veut également une valeur de fraternité entre les peuples. La solidarité entre les travailleurs et les travailleuses de tous les pays entre en contradiction avec les nations et la guerre.
Les valeurs familiales permettent de conjuguer principe d’égalité au pluriel ; elles permettent de s’ouvrir au monde. Les valeurs familiales se transmettent par la mémoire et par la parole orale. L’écrit est plus difficile à appréhender. Le retour à l’écrit constitue néanmoins une variante indispensable. La réforme protestante a permis de mieux comprendre ce retour pendant le moyen-âge et les guerres de religion, tout en exerçant une formidable pression sur les autres monothéismes durant les siècles qui ont suivi.
Le changement est à la tradition, ce que la révolution est à l’ancien régime. A cette occasion, le facteur humain a repris les choses en main, au point d’imposer la terreur et le communisme. Le peuple, sur lequel le facteur humain s’appuie, constitue un concept indéfinissable si on garde en mémoire son caractère liberticide et génocidaire. Le vote et l’anonymat ont remplacé l’ordre préétabli. Le tirage au sort constitue une tentative de redonner confiance dans les institutions. Mais son sort est entre les mains de l’aristocratie et de la bourgeoisie réunie. Le hasard, comme principe de choix des dirigeants et des responsables politiques, confine à la chance. Il est prouvé que la compétence s’acquiert sur le tas et sur le tard. L’accès aux ressources doit être partagé et les quotas, s’ils ne constituent pas l’ultime solution, n’en sont pas moins une potion amère.