Nous empruntons volontiers ce titre (recontextualisé) à notre amie Rima Hassan, afin de faire part de notre état d’esprit sur la dernière phrase « lâchée » par Manuel Valls, Premier Ministre de notre République française, après la décapitation d’une personne dans l’Isère, laquelle semble avoir peu de liens avec une affaire terroriste (bien que des actes terroristes puissent être retenus sur un fondement pénal), mais plus avec une instabilité psychologique du prévenu.
Les médias accentuent le phénomène
Il s’agirait au fond de qualifier cette personne comme quelqu’un de fondamentalement instable, à l’image de la personne ayant assassiné des individus à Charleston. Lorsque les chrétiens ont décidé de pardonner, les medias ont diffusé des images et des messages de ces familles déchirées, qui pleuraient, avec en arrière-fond, du blanc, couleur de sérénité et de paix. Or, lorsque les journalistes ont couvert l’attentat en Isère, les spéculations avaient bon train, rappelant que l’Etat Islamique avait franchi les frontières de l’Occident et qu’une forme de terreur s’était installée dans l’Europe toute entière …
Bien évidemment, lors de cette actualité, la piste terroriste fut largement adoptée, alors qu’on ne savait rien de ce qui s’était réellement passé. Les quelques indices ayant été trouvés sur les lieux – comme par exemple les inscriptions en arabe - ont déchaîné la toile, alors que certains journalistes n’ont pas hésité à modifier leur interprétation du fait divers au fil des différents éléments de l’enquête. En définitive, ce macabre personnage était quelqu’un de dérangé et constituait le produit d’un système social, le nôtre, qui délaisse totalement les personnes sans emploi, faisant peser le poids de notre déficit en la matière sur l’expression « c’est la crise ! »
La radicalisation prend bien naissance dans un phénomène social : l’exclusion. Rarement les motifs que ces personnes qui s’en vont faire la « soi-disante guerre sainte en Syrie » sont religieux. Bien souvent, on s’aperçoit que ces personnes ne connaissent rien à la religion ; elles y vont, en réalité, par envie de combattre ou pour chercher un sens, particulièrement critiquable, à leur vie.
La « guerre des civilisations » ne concerne que Valls
Manuel Valls affirme, tel un néoconservateur américain, que :« nous ne pouvons pas perdre cette guerre parce que c’est au fond une guerre de civilisation. C’est notre société, notre civilisation, nos valeurs que nous défendons » ! En voilà une drôle d’idée. D’abord, au regard du contexte même de l’affaire, son analyse est objectivement fausse. Il ne s’agit pas de l’Etat Islamique (EI), en l’espèce, tout comme il n’y a pas d’aspect civilisationnel à invoquer …
En outre, cette vision est nécessairement fausse, puisqu’elle se base sur une analyse bancale. Rappelons un instant en quoi consiste la théorie du « choc des civilisations ». Beaucoup d’auteurs la prêtent à Samuel Huntington, mais les droits d’auteur de la conception de cette théorie appartiennent en fait à Bernard Lewis, spécialiste de l’Islam et de l’histoire du Moyen-Orient.
Cette théorie vise à affirmer que les oppositions mondiales ne sont absolument pas fondées sur une opposition des régimes politiques, mais bien sur des oppositions « civilisationnelles », chacune des civilisations ne se valant pas et chacune de ces civilisations étant nécessairement appelée à entrer en conflit. Dans ces civilisations, notamment celle dont on prononce jamais le qualificatif, la civilisation arabo-musulmane, le fait religieux est un élément essentiel, sinon prépondérant, et c’est lui qui est à la source de tous les maux …
Le Premier Ministre a, pour sa part, du mal à se dépêtrer de ses propres contradictions. Il affirme dans la même phrase que : « ce n’est pas une guerre entre l’occident et l’islam, mais une guerre au nom même des valeurs qui sont les nôtres et que nous partageons au-delà même de l’Europe » tout en soutenant aussi que les premières victimes de Daech étaient les musulmans !
En réalité, nous nous posons ici une question sur le champ d’application pertinent de cette théorie. Celle-ci, dont les racines sont « douteuses », puisqu’elles font naître une civilisation supérieure et une civilisation inférieure, n’a pas vocation à s’appliquer ici, notamment en ce qui concerne ce qui s’est passé dans l’Isère. Ce n’est pas Daech qui est concerné, mais bien un déséquilibré mental français, issu de nos traditions, élevé en France et donc qui concourt à notre histoire.
Par ailleurs, Daech a revendiqué les attentats de Sousse contre la Tunisie. Comment alors coupler cette vision conflictuelle que propose le choc des civilisations, avec le fait même que les arabo-musulmans sont touchés en masse par les actes de terrorisme ? D’où la nécessité, qu’il faut sans cesse rappeler, de distinguer entre Islam et Daech Monsieur le Premier Ministre !
Par Asif ARIF, avocat au barreau de Paris, auteur de « l’Ahmadiyya : un Islam interdit »
et enseignant à l’Ascencia Business School
& Mehdi Thomas ALLAL, maître de conférences à Sciences Po
et responsable du pôle anti-discriminations de la fondation Terra Nova