Le dernier plan d’austérité a finalement été voté. Ce nouveau mémorandum réduit encore et toujours les salaires et les pensions de retraites et conduira à davantage de suppression de postes dans la fonction publique. Il réduit par ailleurs les dépenses de santé et d’éducation. Il devrait en principe, comme tous les autres auparavant, permettre le redressement du pays. C’était en effet une condition à la reduction de la dette grecque et à l’autorisation d’un prêt de 130 milliards d'euros pour éviter la faillite.
Nous devrions avoir droit, comme à chaque fois, aux discours classiques des dirigeants européens « confiants » et « optimistes », saluant « le sens des responsabilités des dirigeants grecs ». En attendant la prochaine crise. Ce n’est en effet que partie remise puisqu'il n’est toujours pas dit que la Grèce ne fasse pas défaut le 20 mars. Et quand bien même l’échéance était honorée, le fond du problème n’en serait pas pour autant réglé. Bien au contraire, ce plan n’ajoutant que de l’austérité à l’austérité dans le but de « sauver » une Grèce pourtant rendue exsangue par les plans précédents.
Le nouveau mémorandum est bien la preuve que la Grèce vit une crise politique dont l’ampleur est bien plus grande que ce que l’on prétend.
Disons le simplement. Le plan voté le 12 février a été décidé par un gouvernement non élu issu d'une coallition, qui a d'ailleurs explosé au moment du vote. L'un des trois partis qui composait la coallition, le LAOS (extrême-droite), dont les quatre ministres au gouvernement ont démissionné, a donné pour consigne de vote l'abstention. Le plan a donc été voté par un parti totalement décrédibilisé par les plans qu’il a votés auparavant (PASOK) et d’un parti qui a lui-même provoqué par son irresponsabilité la crise dans laquelle la Grèce est plongée (Nea Demokratia).
Rappelons par ailleurs qu’en votant ce plan, la grande majorité des députés de ces partis ont voté exactement ce qu’ils dénigrent pourtant continuellement depuis plusieurs mois : une austérité strictement dictée par des instances supranationales dont l’autorité s’incarne en la personne du premier ministre Loukas Papadémos.
Les partis d’opposition qui ont refusé de participer à ce gouvernement, ne parviennent toujours pas à s’entendre pour se constituer en voix unique contre l’austérité. C’est en particulier la question de la sortie de la zone euro qui pose problème. Une telle alliance serait de toute façon quasiment impossible compte tenu de l’obstination du Parti Communiste (KKE) à faire cavalier seul.
Nous avons donc là une mosaïque de partis dont la capacité à réagir efficacement et de manière responsable laisse à douter, ce qui pousse la population à se tourner vers la rue.
Contrairement à ce qu’a pu affirmer la police, ce sont des centaines de milliers de grecs qui ont envahi les rues des grandes villes dimanche 12 février, lors du vote du nouveau plan. Et force est de constater que l’on a assisté à une radicalisation du grondement populaire, visible tant par le nombre grandissant de participants que par l’ampleur des violences. Œuvre d’une extrême minorité, ces violences ont totalement éclipsé le message porté par l’écrasante majorité des manifestants venus exprimer leur mécontentement dans le calme. Il était en effet beaucoup plus aisé de trouver des articles dénonçant la violence des manifestants que sur la nature même de la manifestation : quelles classes sociales étaient présentes ? Quel message ? Quelles solutions ?
Ne l’oublions pas, une manifestation, c’est avant tout un moment de débat, de discussion, et d’entraide.
Les manifestations du 12 et 19 février ont surtout montré que le mouvement populaire est une chose politique comme les autres, utilisable et manipulable par les pouvoirs politiques et médiatiques. Lors du vote du plan, le premier ministre accusait les « irresponsables » à l’extérieur du parlement pour convaincre les députés encore sceptiques d’accepter le mémorandum. Les médias, eux, se sont essentiellement concentrés sur les émeutes survenues dans le centre d’Athènes, et dans une moindre mesure à Thessalonique, évènements qui se sont pour la plupart déroulés après les manifestations… Nulle part, hormis dans les médias alternatifs, on a pu parler de la tendance majoritairement pacifique qui régnait au sein des cortèges.
Sans défendre, ni cautionner les violences, on peut tout de même réfléchir un minimum aux causes de celles-ci, tant on en parle sans savoir vraiment de quoi elles relèvent. Parmi ces causes, le rôle de la police, essentiel pour comprendre ne serait-ce qu’en partie tous les ressorts de cette violence.
Il semblerait en effet que le comportement de la police durant l’ensemble des journées de manifestations joue grandement sur le déroulement de celles-ci.
Tout d’abord, pour limiter le nombre de manifestants, un important dispositif serait déployé d’une part aux portes de la ville pour empêcher les bus affrétés de villes extérieures d’entrer dans la capitale grecque, d’autre part à certains points stratégiques du centre, où des contrôles d’identité plutôt douteux seraient menés. Par ailleurs le dimanche 19 février, la majorité des stations de métro du centre d’Athènes, elles, étaient fermées, officiellement pour des raisons de sécurité… Enfin, il semblerait que la police ait procédé à des arrestations préventives avant les manifestations des 12 et 19 février.
Durant la manifestation, leur comportement pourrait se résumer assez simplement : être présent partout, en masse. Lors de la manifestation du 12 février, 4 000 policiers étaient déployés rien qu’autour du parlement. Tout était fait pour que l’on ne puisse pas se rassembler sur la place Syntagma (place située en face du parlement). On a rapporté, dès le début de la manifestation l’envoi excessif et continu de bombes lacrymogènes et de grenades incapacitantes (flashbang). De nombreux témoignages rapportaient l’omniprésence de la police dans les rues d’Athènes, où ont eu lieu de nombreux affrontements à l’écart de la manifestation (Voir la vidéo en en-tête).
La police créé donc une ambiance délétère visant à mettre une pression forte sur les manifestants, les laissant parfois penser qu’ils commettent une faute grave en allant exprimer leur opinion dans la rue. L’importance du dispositif policier ainsi que le comportement de certains passe surtout pour une provocation, poussant une poignée de manifestants à répondre par la violence.
On pourrait donc estimer qu’une présence policière excessive conduit à encourager le développement d’émeutes. A titre d’exemple, le 12 février à Thessalonique, de nombreux débordements ont eu lieu. La police anti-émeute (MAT) était omniprésente. Le 19, la manifestation s’est déroulée dans le calme. Nous n’avons pas vu un seul MAT ce jour-là.
Le raisonnement peut paraître un peu simpliste. Pour autant, il montre bien que la présence policière influe sur le comportement des manifestants. Il montre également par extension que le pouvoir politique, en déployant ou non un important dispositif policier donne l’importance qu’il veut à la manifestation en question. Puisqu’évidemment, lorsque les manifestations se déroulent dans le calme, comme ce fut le cas à Thessalonique le 19 février, personne n’en parle.
Ces manipulations politiques et médiatiques cherchent finalement à ne pas montrer qu’au delà des violences, il y a une majorité grandissante de la population qui s’indigne de plus en plus de la tournure des évènements.
Nous n’avons aucune preuve du véritable sens de ces manœuvres. Pour autant le résultat est là : on assiste actuellement en Grèce à une criminalisation de plus en plus ressentie du droit de manifester. Alors que la souveraineté populaire est continuellement bafouée depuis plus de deux ans, ce sont aujourd’hui les droits individuels essentiels qui semblent être remis en question par le pouvoir politique. Cet ensemble de faits, vrai ou faux, nourrit les accusations de plus en plus fortes de dérive vers un régime pseudo-dictatorial. Plutôt que de tenter d’identifier les sources réelles de la crise, le pouvoir en place reste soumis aux injonctions de la troïka. Enfermé dans une vision court-termiste ne visant qu’à repousser l’échéance décisive, il n'a d'autre solution que de répondre par la force à un grondement populaire qui s'avère pourtant justifié, même si cela signifie à terme de remettre en cause les libertés individuelles.
Mehdi ZAAF & Myrtia ISIDOR