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Billet de blog 23 août 2015

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Des lieux et des mots

Des lieux et des mots qui rêvent dans mes livres .

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Illustration 1

Des lieux et des mots qui rêvent dans mes livres (ici Les Microbes de Dieu)

Barcelone, les Ramblas

- Harassée et défaite, la rue gisait dans l’impudeur de sa nudité, jouissant de ce silence aux abois qui précède l’aube et remontait dans les filets de ses marées nocturnes mouillées d’urine, des cadavres de bouteilles, de préservatifs, de seringues et des corps hébétés, échoués dans les brumes incertaines de leurs extases lunaires.

"L’homme est une catalepsie verticale qui se périscope des paradis où la matière se fait la paire. Respiration, digestion, assimilation, élimination, déjections, pensai-je. - Et en même temps, à deux pas d’ici, de l’autre côté de la rue, des milliers de gens défilent devant les tableaux de Picasso et le regardent les regarder, leur instillant dans le cœur la probabilité de leurs propres rêves…"

- La fin du jour se vautrait d’ennui dans l’encre encore pâle de la nuit. Des tapis de prière jouaient les boussoles mystiques, cherchant la direction de Dieu au ras de l’asphalte tiédi. Les parfums d’Orient aux narines des gisants prosternés se mêlaient à celles du kebab et des gaz d’échappement. Déambulation des corps dans la moiteur du soir. Monde d’hommes, poils religieux ou joues glabres, regards ombrés d’hypocrite pudeur et tapi dans leur ventre, le désir qui prie sa frustration…

- Il remonta la rue de l’hôpital, marchant au hasard, cherchant à retrouver dans les vestiges de la modernité, entre hôtels, bars, magasins flambant neufs et immeubles restaurés ce qui avait pu enchanter le vieux libraire. Les fumeurs de joints, les Pakistanais, Indiens ou Bengalis, plutôt jeunes et en costume traditionnel, les Maghrébins, les Latinos, quelques Chinois et les nombreuses jeunes prostituées, la plupart originaires des pays de l’Est, qui offraient leur service à même les portes cochères, sous l’œil goguenard de leurs proxénètes, les boucheries Halal et les Asia Fast food, avaient fait table rase du passé. L’ancienne pègre barcelonaise du Raval, vêtue de façon extravagante, de chemises bleues ou noires, de pantalons en gros velours côtelé, tenus aux hanches par de larges ceintures de tissus colorés, portant chaussures à bout pointu et casquettes communardes, larges bérets ou chapeaux melon invraisemblables, était désormais légende.

Inde

- La lumière plate de l’aube éveillait un univers charnel de jambes et de bras que le sommeil avait enchevêtré d’un corps à l’autre dans l’alignement confus de matelas d’infortune, de haillons, de carton ou d’asphalte. Les gestes étaient encore imprécis, lourds et ralentis. Le klaxon impérieux du taxi en brisait le rythme incertain. La bouche qui bâillait restait entrouverte, les doigts qui grattaient vigoureusement une tignasse se crispaient, l’ombre accroupie qui urinait sous le dhoti levait la tête.

Rome

- L’automne était encore jeune, mais la douceur de l’aube le surprit. Il aimait la qualité du silence qui précédait les premiers piaillements des dernières hirondelles. Il les contemplait parfois et cela l’amusait de les imaginer, comme on le croyait autrefois, immobiles et enfouies dans les eaux sombres des lacs pour fuir les premiers frimas. Il dégustait le parfum de cette quiétude trop éphémère à son goût où il se laissait aller à une méditation sans objet, regrettant qu’elle soit toujours rompue par ce silence tendu, fait de bruits étouffés et de chuchotements, qui vous mettait les nerfs à vif et régnait dans les couloirs du Vatican. Il l’appelait le silence hiérarchique, car celui des curés avait une tonalité différente de celui des cardinaux et se mesurait au claquement impudique ou feutré des portes.

Irlande

-J’aime l’atmosphère maritime des côtes irlandaises, cette insularité qui s’immisce loin à l’intérieur des terres où l’humain, fuyant la tourbe et les vents qui érodent la lande, se fait aussi rare qu’il est abondant dans les villes. L’émigration irlandaise est aussi intérieure. Ce dépeuplement coutumier de la campagne que sa lente permanence finit par rendre imperceptible, confère à la dispersion de l’habitat irlandais, sa singularité anachronique dont je déchiffre l’histoire, entre le mythe et la réalité.

Extraits des Microbes de Dieu

Toile de Zaya

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