Ces contradictions systématiques, les abolitionnistes-prohibitionnistes ne les résolvent jamais, car elles/ils s'en foutent. Il s'agit d'un véritable déni de la parole des travailleuses du sexe, et un déni de la lutte contre le sida.
Ensemble-Héraut vient d'en fournir un nouvel exemple. Sa commission féministe vient d'envoyer une lettre ouverte (voir à ce lien) au maire de Montpellier Philippe Saurel. Ensemble y dénonce un arrêté anti-prostitutiont que l'élu s'apprête à appliquer et qui est tourné sur la seule répression des travailleuses du sexe (expression qu'Ensemble n'utilise évidemment pas) : « Nous avons bien peur que votre arrêté, s’il se fait sur le modèle de celui de Toulouse en 2014, ne fasse qu’accroître la précarité des personnes prostituées et ne change absolument rien au trafic lui-même (...) Interdire aux personnes prostituées certaines rues de la ville ne fera que déplacer le problème : la prostitution sera seulement moins visible et les personnes prostituées plus isolées. »
Ensemble-Héraut suggère de remplacer la répression des putes par une préparation du terrain à l'application de la future loi « contre le système prostitutionnel », dont la mesure-phare est la pénalisation des clients. Or, cette disposition aura exactement les mêmes effets que ceux dénoncés par Ensemble : « la prostitution sera seulement moins visible et les personnes prostituées plus isolées ». La pénalisation du client aura le même impact que la répression des travailleuses du sexe : précarisation, isolement, dépendance accrue envers des réseaux de soutien, entrave à la prévention et à l'accès aux soins. Si bien que, si on suivait la même logique abolo-prohibitionniste, on pourrait retourner à la commission féministe d'Ensemble 34 la question qu'elle pose au maire de Montpellier : « Votre objectif est-il de réduire la prostitution ou simplement qu’elle se voie moins ? »
Plutôt que d'affronter cette contradiction, et l'expertise nationale et internationale qui décrit l'impact d'une loi pénalisant les clients, Ensemble-Héraut dénonce le manque d'interventions en milieu scolaire sur la question de l'égalité hommes-femmes. On ne saurait qu'approuver. Mais qui a le monopole des actions à l'école sur la question de la prostitution ? Le mouvement du Nid, association catholique, promotrice de la pénalisation du client, opposée au préservatif, à la contraception, à l'IVG : bel exemple d'intervention sur l'égalité hommes-femmes ! Qui, sinon, intervient en premier lieu sur la question de l'égalité ? Le Planning Familial, opposé à la pénalisation du client ! Ensemble-Héraut ne précise pas quel type d'intervention elle préférerait voir se systématiser.
Sur la prostitution, donc, « Ensemble », ce sont ces militant-es qui applaudissent les mesures du PS et des Républicains, et refusent ne serait-ce que d'écouter les travailleuses du sexe, un syndicat (le Strass), les associations communautaires, les associations de lutte contre le VIH, le Conseil national du sida, le Planning familial, les milliers de chercheurSEs travaillant sur l'épidémie, l'ONU, l'OMS, l'expertise sur l'application de la loi suédoise. Notons au passage que dans la fabuleuse loi promue par Ensemble, un amendement de la socialiste Maud Olivier favorisera l'expulsion des prostituées sans-papiers : avec la commission féministe d'Ensemble 34, soutenons la "lutte contre l'immigration" !
Qu'est-ce qui peut expliquer que sur certains sujets, les réflexes traditionnels du travail politique (point de vue de surplomb des dominant-es sur les dominé-es, idéologie abstraite contre politique concrète d'émancipation, etc.) prennent le pas sur la volonté affichée d'en élaborer une, différente, au point de maintenir tout une minorité dans le silence, de refuser de l'écouter, de refuser de la considérer comme une actrice à part entière ? Qu'est-ce qui peut expliquer qu'après plus de trente ans de lutte contre le sida, des groupes politiques de gauche continuent de préconiser des mesures qui vont provoquer des contaminations et bloquer l'accès aux soins ? Comment ces contradictions ne sautent-elles pas aux yeux de militantEs de gauche ?