Mérôme Jardin (avatar)

Mérôme Jardin

Abonné·e de Mediapart

220 Billets

2 Éditions

Billet de blog 12 octobre 2014

Mérôme Jardin (avatar)

Mérôme Jardin

Abonné·e de Mediapart

Maires pour l'abolition, maires pour le sida, maires contre l'éducation des enfants

Mérôme Jardin (avatar)

Mérôme Jardin

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les responsables politiques qui rêvent de voir disparaître de l'espace public les travailleurSEs du sexe ont inventé un nouveau machin : une tribune des « maires pour l'abolition ». Les élu-es signataires y développent une grande énergie pour se dédouaner à l'avance du reproche d'une stratégie démagogique qui consisterait à opposer riverain-es et travailleurSEs du sexe.

 Une fois que les riverain-es ont fait état des « nuisances » que causerait le travail sexuel de rue dans un quartier, ils et elles s'inquièteraient de la situation des personnes qui se prostituent : « il est frappant de noter que lorsqu’un échange approfondi s’engage avec les riverains des lieux de prostitution, leurs préoccupations dépassent bien souvent les seules problématiques de préservation de la tranquillité publique. »

Les choses seraient donc bien ordonnées : moi, maire de X, ordonne un arrếté anti-prostitution qui va dégrader les conditions des travailleurSEs du sexe qui exercent sur ma commune ; je le fais non pour répondre à des besoins sécuritaires que les débats politiques et médiatiques contribuent le plus souvent à créer ou biaiser, mais bien parce que mes électeurs et mes électrices, notamment celles et ceux qui subissent les « nuisances » des putes, s'intéresseraient à leur sort.

Voilà la nouvelle version de la rhétorique « bienveillante » des anti-putes. Car ce n'est qu'une rhétorique, qui ne résiste pas à l'analyse. L'objectif de ces signataires n'est pas l'amélioration des conditions de vie des travailleuses du sexe, mais bel et bien de justifier une politique répressive en la parant d'un ornement social et féministe. Et cette rhétorique masque bien mal une violence fondamentale contre les putes, ne serait-ce qu'en entretenant encore et toujours une opposition tacite entre usagErEs de la ville, d'un côté les habitantEs reconnues comme riverains et de l'autre des professionnelLEs qui viendraient troubler la quiétude des lieux.

Deux exemples, tirés de la tribune, montrent facilement que derrière la rhétorique de bienveillance des maires pour l'abolition, se cachent une violence et une démagogie bien réelles : le thème des préservatifs usagés, et celui de l'éducation des enfants.

Mais avant d'analyser chacun de ces deux exemples, regardons de plus près le rôle que devrait tenir unE éluE quand il reçoit les plaintes de riverains face à une activité professionnelle.

Plainte de riverainEs et éluEs : dialogue, médiation ou démagogie ?

Notons tout d'abord qu'il est légitime que des riverains se plaignent auprès d'élu-es des conséquences de telle ou telle activité professionnelle dans le voisinage : des aires de livraison d'un commerce qui empêchent vos ami-es de se garer, le café-PMU-bar tabac, dont les clients écrasent mégots de cigarettes et jettent leur emballage de paquet de clopes juste en bas de chez vous, ou encore la boîte de nuit dont la musique vous réveille à 3 heures du matin.

Face à de telles sollicitations, unE éluE devrait savoir qu'il/elle ne pourra apporter de réponse pertinente s'il/elle oppose les habitantEs du quartier des personnes qui y travaillent ; car ce sont parfois les mêmes ; car les habitantEs bénéficient aussi des services professionnelLes des personnes qui y travaillent ; car la division des usagErEs d'une ville ne peut rien apporter de bon.

Le rôle de l'élu, et des personnes qui travaillent pour lui, sera dès lors d'assurer une médiation entre les diverses parties, des discussions collectives, afin de trouver des réponses qui satisfassent tout le monde et exigent de chacunE le moins de sacrifice. Cela passe donc par l'écoute des demandes de chaque partie. Cette médiation passe par les premiErEs concernéEs, ou parfois, quand cela existe, par des associations ou des syndicats. Il y a du conflit, des décisions arbitraires, qui ne satisfont personne, il y a aussi des vrais dialogues, des décisions consensuelles : c'est la vie démocratique, et, en général, chacunE est consultéE.

 Voilà le travail que devrait accomplir unE éluE.

Quelle conception les maires pour l'abolition défendent -ils ou elles ? A lire leur tribune, on est frappé de leur volonté de dialoguer avec les riverain-es, mais pas avec les travailleurSEs du sexe, pourtant des usagErEs, habitantEs, citoyenNEs et électeurRICEs de la ville et du quartier, et surtout directement concerné-es.

 Pourtant, les problèmes posés dans la tribune des maires sont les mêmes que ceux que je citais plus haut : nuisances sonores, difficultés de stationner, objets polluant la rue ou le caniveau. Ce sont les mêmes problèmes, qui, à en croire ces élu-es, motivent les riverain-es pour venir se plaindre. Pourquoi, donc, ne pas jouer le même rôle de médiation que lorsqu'ils ou elles ont affaire à des problèmes liés à d'autres activités professionnelles ?

 Même si unE éluE considère, comme le font les signataires de la tribune, qu'une pute est forcément une victime, en quoi cela empeĉhe-t-il d'aller la voir, d'aller voir les associations ou syndicat de travailleurSEs du sexe, pour entamer des discussions ?

Préservatifs usagés ou putes contaminées ?

Quand les « maires pour l'abolition » recensent ces plaintes « légitimes » des riverainEs, ils et elles évoquent, entre autres, le « désagrément de retrouver au petit matin devant sa porte de nombreux préservatifs usagés ».

Il se trouve que, comme les seringues qui traîneraient dans les bacs à sable des parcs pour enfants, les préservatifs usagés, « nombreux », tiennent essentiellement du fantasme et de la rumeur – sauf dans des lieux où les poubelles publiques ne sont pas suffisamment nombreuses, ce qui engage la responsabilité des éluEs d'une toute autre manière que des arrêtés anti-prostitution. Ces fantasmes sont très largement entretetenus par des groupes extrêmistes anti-capotes. Que ces maires relaient de telles inepties, sans les asseoir sur des études réelles de terrain, est plus que préoccupant.

Mais imaginons même que ce qu'écrivent les édiles sur les « nombreux préservatifs usagés » soit monnaie courante. On s'attendrait à une réponse, rapide, des élues – dont certainEs sont sincèrement investiEs dans la lutte contre le sida – pour expliquer que le préservatif protège client et prostituéE. On attendrait un rappel du rôle essentiel de la capote. On aimerait que ces éluEs rappellent que ce sont les travailleurSEs du sexe, avant les gays, qui ont été les premières promotricess du préservatif au début des années 80.

On aimerait qu'ils et elles travaillent avec les putes, les associations de lutte contre le sida, pour voir comment résoudre un tel problème. Mais non, rien.

Que faut-il comprendre d'un tel silence des maires ? Qu'ils et elles préféreraient que les putes baisent sans capotes pour ne pas indisposer les riverains ? C'est bien cela ? Qu'elles se fassent contaminer au VIH ou à d'autres IST ?

Ces éluEs trouvent-ils/elles qu'on parle aujourd'hui trop des capotes ? Qu'on se protège trop du sida ? Quand des maires écrivent un texte et parlent de préservatifs, ce n'est plus pour sauver des vies et des santés, c'est pour stigmatiser les prostituéEs. L'irresponsabilité et la violence de ces maires devraient leur faire honte.

 Aveuglons nos enfants

Selon les signataires, c'est bien la seule visibilité des travailleuses du sexe qui seraient un défi lancé à l'éducation de nos enfants : « Comment éduquer nos enfants dans l’égalité entre filles et garçons si les hommes peuvent exploiter la précarité des femmes pour leur imposer un acte sexuel par l’argent ? Que répondre à nos enfants parfois directement exposés à cette violence sociale et qui nous demandent qui sont ces personnes prostituées ? »

Ainsi, donc, il faudrait que les personnes prostituées ne soient pas visibles, que nos enfants ne les voient pas, et, déjà, tout irait mieux pour nos bouts de chou  ? C'est bien ce qu'indique la deuxième question. Quelle est donc la « violence sociale » à laquelle on exposerait les enfants en leur laissant voir des travailleuses du sexe dans la rue ?

La violence en question tient-elle à la sexualité manifeste que la travailleuse du sexe imposerait au pauvre enfant à cause de, par exemple, ses vêtements ou son attitude dans l'espace public ? Mais dans ce cas, quelle différence fondamentale avec le moindre panneau d'affichage de pub pour un parfum ou de la lingerie féminine ?  Les éluEs acceptent-ils/elles plus la sexualité dans les panneaux de pub parce que cela leur rapporte plus d'argent via les taxes professionnelles ?

La violence tient-elle à la précarité de la situation de bon nombre de travailleuses du sexe, notamment chez celles qui travaillent dans la rue ? Mais dans ce cas, va-t-on se poser la même question si on voit un SDF dormir à même le sol : « que répondre à nos enfants » ? Que répondre à nos enfants si leur mère gagne moins que leur père alors qu'il et elle ont le même niveau d'étude et des emplois équivalents ?

Au-delà des réponses ignobles que supposent les questions démagogiques posées par les maires anti-putes (« Puisque les putes choquent nos enfants et nous empêchent de leur parler égalité, rendons-les invisibles »), leur formulation même est une grave atteinte à tout principe d'éducation. Des éluEs sans réponse à la question "que répondre à nos enfants" ne devraient pas évoquer la question de l'éducation.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.