
Agrandissement : Illustration 1

La transphobie hiérarchise les vies, les pourrit, discrimine, tue. Plus de la moitié des personnes trans interrogées pour Santé Publique France affirmaient avoir déjà connu un épisode dépressif après un acte transphobe, 18 % avoir fait une tentative de suicide1. Les discriminations, dès le plus jeune âge, le rejet, l’isolement, leurs conséquences sur le bien-être et la santé sont documentées. Elles devraient susciter une réaction massive des forces de gauche, partis, associations, syndicats, pour lutter contre les violences transphobes, les discriminations, favoriser le parcours de transition, combattre la transphobie. Il n’en est rien.
A ma connaissance, aucun syndicat, très peu de responsables politiques, ont relayé la pétition lancée par Toutes des femmes appelant à un changement d’état civil libre et gratuit, sans passer par un juge. La proposition de loi de la sénatrice Mélanie Vogel allant dans ce sens n’a pas été applaudie par l’ensemble des forces de gauche. De même, l’aide matérielle ou financière aux associations trans est très peu soutenue en dehors de la communauté : on pense par exemple au Fonds d’action social d’Acceptess-T. L’expertise de fond des associations, telles qu’elles se traduisent dans le Wikitrans ou dans les débunkages faits par Toutes des femmes, devrait être diffusée au sein de tous les partis, tous les syndicats.
Il y a urgence. Si la transphobie est constante et structurelle, l’offensive actuelle est d’une grande violence et est en train d’inscrire dans le débat public la normalisation de mensonges, et la promotion de mesures dangereuses pour toutes les personnes trans, en commençant par les enfants. Ce simple fait devrait suffire à rassembler les forces progressistes pour garantir les droits des personnes trans. Mais il n’en est rien. La gauche ne tire aucune leçon de ces errements passés à l’égard des minorités de genre. Et quand les partis, syndicats, associations qui ferment aujourd’hui les yeux se rendront compte que le mal qu’ils laissent faire aux personnes trans s’étend à d’autres personnes, à d’autres domaines de lutte, réagiront-ils ?
Car l’offensive transphobe met en danger tout le monde. Donnons deux exemples. La proposition de loi déposée par les sénateur-rices LR et relayée par le RN à l’Assemblée nationale vise à interdire toute transition pour les mineur-es et préparer le terrain à des thérapies de conversion. La proposition s’appuie sur des mensonges répétés par des groupes héritiers de la Manif pour tous qui ont transformé la transition des jeunes en panique morale. L’argument de fond, à savoir des mineur-es qui seraient trop immatures pour choisir une transition, s’est totalement normalisé. Or, il pourrait tout à fait s’appliquer à d’autres domaines, tels que la contraception ou l’avortement, l’orientation sexuelle aussi. En cautionnant par son silence quasi-généralisé cet argument appliqué aux personnes trans, la gauche favorise des attaques sur d’autres domaines et fera semblant de le découvrir – alors que l’exemple américain où la lutte contre les droits des personnes trans a permis aux réactionnaires de gagner en force contre l’avortement et les droits des autres minorités LGBTQ devrait l’alerter.
De même, l’éducation à la sexualité est dans le viseur de ces groupes. L’exposé des motifs de la proposition de loi LR est très claire là-dessus : « Cette proposition de loi ne reprend pas les préconisations relevant du domaine scolaire et administratif, qui ne relèvent pas du champ législatif mais sont néanmoins essentielles. À ce titre, on peut citer l'abrogation de la circulaire dite « Blanquer » du 29 septembre 2021 « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire », le respect par l'Éducation nationale de l'état civil de l'enfant (prénom et sexe), l'interdiction d'intervention auprès des élèves, dans les établissements scolaires, des associations qui ne respectent pas le principe de neutralité de l'Éducation nationale ou encore la mise en place d'une veille, au sein du ministère de l'Éducation nationale, sur le contenu des manuels scolaires mis à disposition des enfants et adolescents concernant l'identité sexuelle, dans un principe de neutralité de l'école. »
La vie des personnes trans devrait suffire pour une mobilisation massive pour leurs droits. Les responsables politiques ou syndicaux qui pensent que des minorités ne méritent pas leur attention ne font pas simplement le jeu des transphobes. Ils et elles fragilisent un peu plus les acquis qui profitent à toute la société.
---------------
1Santé Publique France, « Ampleur et impact sur la santé des discriminations et violences vécues par les personnes lesbiennes, gays, bisexuel·le·s et trans (LGBT) en France », 17 mai 2021, pp. 7-8.