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Billet de blog 20 avril 2023

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Invisibilisation des luttes LGBTQI : lettre ouverte à Causette

Avec Rachel Easterman-Ulmann, ancienne présidente d'Act Up-Paris et Pauline Londeix, ancienne vice-présidente de l'association, nous interpellons les responsables du magazine "Causette" sur le dossier du dernier numéro, consacré au mariage pour tous : comment peut-on traiter des victoires des luttes LGBTQI en effaçant celles et ceux qui les ont menées ?

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Paris le 20 avril 2023

A l'attention de Reginald de Guillebon, Sarah Gandillot,

Clément Boutin, Clémentine Gallot, Aurélia Blanc

Madame, Monsieur,

Anciennes présidente et vice-présidente d'Act Up-Paris, ancien président de cette association, nous regrettons l'invisibilisation des luttes LGBTQI auxquelles le dossier de votre numéro dédié aux dix ans du mariage pour tous procède. Nous vous demandons d'y remédier dans votre prochain numéro.

Cette invisibilisation est une violence pour nous. Ce combat, nous l'avons porté car il nous concernait directement et concrètement. Dans les années 90, sans la reconnaissance légale de couples homos, l'un d'entre nous s'est vu interdire par une famille homophobe l'enterrement de l'homme qu'il aimait, mort du sida. Aujourd'hui, sans le mariage, l'une d'entre nous n'aurait pas pu vivre avec sa femme, étrangère non européenne, en France, et cette dernière aurait sans cesse été menacée d'expulsion, même avec le PaCS. Avec d'autres militant-es, nous nous sommes exposé-es, avons pris des coups, au sens propre du terme, des insultes, des invectives, y compris de responsables socialistes que vous portez aux nues aujourd'hui car nous avons réussi à les convaincre de défendre ce droit. Tout cela, vous l'effacez, suggérant ainsi que les progrès sociaux sont le seul fait des dirigeant-es, inspiré-es mystérieusement à un moment de l'histoire, et non le résultats de rapports de force engagés par des militant-es que vous vouez à la disparition.

Le parti socialiste ne voulait pas de l'égalité pour les personnes LGBTQI. Jusqu'en 2006, le PS, dont le secrétaire général était alors François Hollande, restait sur la ligne de la Garde Des Sceaux de 1999, Elisabeth Guigoux. Cette dernière avait déclaré à l'Assemblée nationale, pour rassurer les opposant-es au PaCS, que ce dernier n'ouvrirait pas la voie vers le mariage car cela porterait atteinte à « l'ordre symbolique de la société ». Cet argument rejoignait les références à Dieu ou à la nature que les opposant-es au PaCS multipliaient. Cette position n'a jamais gêné François Hollande, que vous mettez pourtant en avant en couverture et par une interview complaisante où vous lui laissez le beau rôle, sans jamais l'interroger sur ses propres réticences et sur les raisons pour lesquelles il a ignoré nos demandes pendant des mois au milieu des années 2000.

A l'inverse, Act Up-Paris a été une des rares associations à exiger le mariage dès le vote du PaCS. Certaines, avec Act Up, au sein de l'Observatoire du PaCS, ont documenté les situations problématiques dans lesquelles le PaCS laissait les couples homos contribuant à ouvrir le débat là où le PS voulait le clore. Dans l'indifférence ou l'hostilité des responsables politiques socialistes, nous avons mené une longue campagne pour sensibiliser l'opinion publique aux effets des insuffisances du PaCS, des inégalités, de l'homophobie et de la transphobie institutionnelles. L'image la plus visible en a été le mariage de deux femmes à Notre-Dame de Paris. En 2005, dans la perspective des présidentielles, nous avons mené une campagne sur les partis de gauche pour qu'ils s'engagent pour l'égalité des droits. Le parti socialiste nous a refusé tout rendez-vous pendant 9 mois. Il a fallu occuper les locaux du PS à Solférino pour obtenir enfin un rendez-vous. François Hollande et le PS, tout en restant très réticent aux progrès que nous demandions pour les droits des personnes trans, a finalement accepté d'intégrer l'ouverture du mariage dans le programme électoral, mesure que Ségolène Royal remettra un temps en cause dans sa campagne pour 2007. Vous invisibilisez ce combat en écrivant que cette « revendication militante urgente va s'inviter » dans le programme de François Hollande en 2012.

Président de la République, ce dernier laissera prospérer La Manif pour Tous et leur donnera toutes les cautions. Son gouvernement refusera la procédure accélérée pour les discussions sur la loi, donnant ainsi aux homophobes le temps nécessaire pour se préparer. Il ne condamnera aucun propos homophobe. Son ministre de l'Intérieur Manuel Valls recevra à plusieurs reprises LMPT, et refusera de recevoir les associations LGBTQI. Son gouvernement renoncera à intégrer l'ouverture de la PMA à toutes les femmes et aux personnes trans. François Hollande a proposé une « liberté de conscience » aux maires.

D'autres membres du gouvernement et de la majorité de l'époque, dont bien sûr Christiane Taubira, se sont exposé-es pour l'ouverture du mariage. Il n'en reste pas moins que l'ouverture de la PMA a été sacrifiée. Garde des Sceaux, Christiane Taubira n'a rien fait pour les personnes trans en prison. Sous François Hollande, les préfectures ont continué d'expulser des personnes LGBTQI dans des pays où elles seraient persécutées, enfermées, assassinées. D'une manière plus générale, il a aggravé la répression des mouvements sociaux, voté une loi Renseignement dont un des objectifs affichés était d'utiliser la lutte contre le terrorisme pour surveiller des associations comme Act Up-Paris. Le démantèlement du code du travail par la loi Travail a aussi frappé les personnes LGBTQI.

Dans vos pages, vous interrogez politiques, journalistes, people mais très peu d'associatif-ves. Le militantisme est réduit aux images : nous ne sommes pas seulement des illustrations des discours des autres. Même dans le déroulé de 2012-2013, vous n'évoquez pas le rôle d'un collectif comme Oui Oui Oui.

Votre dossier relève donc d'une atteinte à la réalité historique. Cela pose aussi un problème politique : comment convaincre aujourd'hui que les luttes actuelles sont nécessaires, si des médias telles que le vôtre, qui ne sont en rien les relais des homophobes et entendent porter les mêmes combats que nous, les effacent ensuite de l'histoire, faisant oublier qu'elles ont été indispensables et utiles ?

Nous sommes à votre disposition pour vous aider à rectifier cette erreur manifeste de votre part.

Salutations,

Rachel Easterman-Ulmann, ancienne présidente d'Act Up-Paris

Pauline Londeix, ancienne vice-présidente d'Act Up-Paris

Jérôme Martin, ancien président d'Act Up-Paris

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