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Billet de blog 28 décembre 2018

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Joachim Son-Forget, pur produit d'En Marche et de notre passivité

Exister politiquement par ses provocations homophobes et sexistes, compenser ainsi l'absence de travail parlementaire pour lequel on est payé 5700 euros par mois : Joachim Son-Forget n'est pas une aberration, mais le fruit de l'idéologie d'En Marche, que les actions militantes n'arrivent pas à enrayer.

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Soutien à Esther Benbassa

Illustration 1

Joachim Son-Forget reçoit mensuellement une indemnité de 7209,74 euros (5700 euros net), à laquelle se rajoutent 5 373 euros de frais de mandat et 10 581 euros pour payer des assistantEs parlementaires.

Le député ne fait pas le travail pour lequel il est payé. Son activité parlementaire des douze derniers mois est sans appel, et confirme son absence de travail depuis le début du mandat (voir aussi l'onglet « actualité » de sa fiche à l'Assemblée nationale).

Illustration 2

Pour se justifier, Joachim Son-Forget fait valoir  qu'il : « voyage beaucoup car en charge de dossiers sur l’asie et le moyen orient. » Il invoque aussi «  bcp de de rdv de terrain pour obtenir de l information, beaucoup d auditions non comptabilisées, ainsi que travail de rédaction/recherche pas compté. »

De tel arguments ne tiennent pas. D'une part, des réunions et auditions officieuses, non publiques et sans compte-rendu, si elles existent réellement, sont une atteinte au principe de transparence et au droit à l'information des citoyen-nes. D'autre part, les statistiques d'activité d'autre députéEs occupant des postes similaires (français de l'étranger, président d'un groupe d'amitié avec un pays lointain) sont bien, plus fournies que celles de Joachim Son-Forget. Céline Calvez, par exemple, est présidente du groupe d'amitié France-Inde et assure une présence en commission (la commission des affaires étrangères, dont elle est vice-présidente), et en hémicycle parfaitement normale.

Il est vrai que Joachim Son-Forget affiche des titres : co-rapporteur d'une mission d'information sur les mers et les océans, président du groupe d'amitié France-Corée du sud, vice-président des groupes d'amitié France-Kosovo, France-Israël, France-Suisse, toujours vice président des groupes d'étude sur la Corée du Nord, les métiers de la sécurité ou sur les terres australes et antarctiques françaises et le droit des grands fonds, secrétaire du groupe d'amitié France Nigéria et du groupe d'études sur les chrétiens d'orient1. Il est membre de dix autres groupes du même genre.

Comment tenir tant d'activités avec le sérieux qu'elles méritent ? Qui peut croire qu'elles sont autre chose qu'une ligne dans un CV ? Qui s'étonnera qu'En Marche favorise une telle pratique, ce groupe ayant eu besoin de candidatEs en masse, non sélectionnés, aujourd'hui éluEs, et qu'il faut bien faire obéir en donnant l'impression d'exister ?

Les mandats gracieusement fournis par En Marche ne lui permettant pas d'exister politiquement, Joachim Son-Forget passe donc par la provocation sexiste et homophobe pour le faire. D'autres y ont eu recours. Qui se souviendrait de Christian Vanneste s'il n'y avait eu ses sorties homophobes, qui, en 2005-2006, n'avaient pas été sanctionnées par l'UMP ?

Joachim Son-Forget n'avait pas été averti quand il a soutenu l'homophobie de Marcel Campion. Et pourquoi le serait-il ? Brigitte Macron elle-même vient de s'afficher aux côté du forain. L'Assemblée accepte d'auditionner le président des Familles Catholiques, même après qu'il a expliqué que « le problème c'est pas que les pédés ». En Marche a adoubé des opposantEs au mariage pour tous au gouvernement et à l'Assemblée nationale, dont certains ont qualifié l'homosexualité « d'abomination ». Alors, vraiment, ce n'est pas si grave.

Joachim Son-Forget n'est pas sanctionné après son harcèlement sexiste contre Esther Benbassa (50 photos d'elles publiées sur Twitter en une soirée). Pourquoi le serait-il ? En Marche a élu un homme président de l'Assemblée face à deux femmes, malgré ses propos sexistes (« vous me pardonnerez de ne pas être une femme »). La secrétaire d’État aux droits des femmes rend responsable la victime de ce harcèlement sexiste. Pas plus que l'homophobie, le sexisme n'est un casus belli pour le groupe En Marche.

Le seul crime que condamne le groupe En Marche à l'Assemblée nationale est l'atteinte à la discipline de groupe, le vote non conforme aux directives de l'exécutif – qu'importe qu'au passage, un pilier démocratique, la séparation des pouvoirs, s'effondre.

Son-Forget, de son côté, a beau transformer le simple avertissement qu'il a reçu de son groupe parlementaire en atteinte à sa liberté d'expression, et faire tourner le buzz et son visage partout. Tant il est vrai que dans notre société, et au sein d'En Marche qui a systématisé la démarche dans le cadre de la PMA, la liberté d'expression vaut pour les ennemis des droits et de la dignité des femmes et des personnes LGBTQI+, pas pour les premières concernées.

Tout cela, nous le savons. Alors. Alors pourquoi rien n'est-il fait par nos communautés, par nos associations, en dehors de messages vengeurs sur les réseaux sociaux ? Qu'avons-nous fait pour que Joachim Son-Forget soit exclu de son groupe dès ses première sorties homophobes ? Qu'avons-nous fait pour que les opposantEs au mariage pour tous soient excluEs des candidatEs En Marche ? Qu'allons-nous faire, qui compte réellement en perturbant un peu le bon ordre en marche, contre la caution apportée par la Première Dame à l'homophobie de Marcel Campion ? Un clip rempli de célébrités se faisant des bisous et nous parlant d'amour, quand nous manquons à ce point de vision politique, et de rapports de force ?

En 2005, quand Vanneste avait affirmé la supériorité de l'hétérosexualité sur l'homosexualité, qualifiée de menace pour la survie de l'humnaité, Act Up-Paris avait entamé une longue campagne : judiciaire, aux côtés de SOS Homophobie et du SNEG, mais aussi politique, en exigeant, communiqué, manifs et zaps à l'appui pendant des mois, l'exclusion par l'UMP de Vanneste. Nous n'avions pas obtenu gain de cause, mais la grande différence avec aujourd'hu, c'est que nous avons occupé l'espace médiatique sur le sujet, mettant sans cesse Sarkozy sur la défensive, posant en norme l'exclusion comme sanction, refusant le fatalisme et le silence que l'on constate aujourd'hui.

Comment espérer qu'En Marche en fasse autant sans aucune action engendrant un rapport de force, démontrant notre capacité de nuire à un politicien ? Les raisons ici ne manquent pas : en plein mouvement des Gilets Jaunes, et alors que le chant de l'austérité salvatrice retentit dans tous les services publics, Joachim Son-Forget coûte plus de 23 000 euros par mois pour un travail qu'il n'effectue pas, et pour exister politiquement à travers la haine des femmes et des personnes LGBT. Il doit non seulement être exclu du groupe En Marche, comme tous-les homophobes et sexistes du groupe, mais démissionner et rendre l'argent.

Image de Une : affiche contre le harcèlement de rue, Belgique, 2014, sur le site de la Rage qui rassemble des affiches féministes.

Illustration 3

MAJ du samedi 29 décembre : après 36 heures à invectiver des collègues d'En Marche, à demander aux trolls du forum "18-25 ans" de JVC, connu pour abriter des campagnes de harcèlement raciste, sexiste, LGBTIphobe, Son-Forget aura été simplement suspendu du groupe En Marche et décide alors de le quitter. Une simple "suspension"...

1 Une telle liste n'empêche pas l'intéressé de dire à Causeur dans un entretien donné le 27 décembre : « A l’Assemblée, ils sont tous président de quelque chose. Les types s’appellent monsieur le président, monsieur le député. Beurk… Quelle hypocrisie dégoulinante. »

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