Le débat sur l’humour est un serpent de mer. Peut-on rire de tout ? Pas avec tout le monde, répète -t-on à l’envie. Comme si on choisissait ses spectateurs ou ses lecteurs…Comme si rien dans la réception, ne nous échappait…A gauche, coincés comme nous sommes entre les défenseurs de tout humour (« On ne peut plus rien dire » qu’ils geignent, à droite et à l’extrême-droite) et les censeurs en tous genre, soumis comme nous sommes à l’extension du royaume Bolloré, de boussole, nous n’avons plus. Alors : on ne peut plus rien dire pleure -t-on chez nous. Aussi.
Le 29 octobre, lors de l’émission de France Inter Le grand dimanche soir, Guillaume Meurice évoque un déguisement pour Halloween qui serait un déguisement Netanyahou, une sorte de « nazi sans prépuce ». La blague fait beaucoup rire sur le plateau mais provoque une vague de protestations, d’insultes et de menaces envers le chroniqueur.
Delphine Horvilleur, la célèbre rabbine libérale, diffuse un tweet critique le 30 octobre :
Prépuce ou pas : Moi je serais plutôt en faveur de circoncire le temps d’antenne de Guillaume Meurice. (Et le mandat de Netanyahou aussi, mais c’est une autre histoire). Ah si seulement les juifs contrôlaient les médias !
La suite, on la connait. La direction de la radio demande au chroniqueur de s’excuser. Ce dernier refuse. Accusé d’incitation à l’antisémitisme, il est relaxé par la justice. Entre-temps, il écrit un livre. Puis réitère sa blague sur le plateau. Avant d’être menacé de sanctions ou de licenciement, suscitant une vague de solidarité à la radio et plus généralement, à gauche.
Une censure et des intimidations qui désarment la critique légitime d’une « blagounette » pour tout ce qu’elle charrie, à la fois de références historiques, actuelles (la nazification de Netanyaou n’est certes pas celle de tout le peuple israélien, ni juif mais cette nazification des Juifs est une ritournelle) et d’ignorance.
A cela, il y a un contexte. Aujourd’hui, les minorités -quelles qu’elles soient- ou encore, les femmes, protestent lorsque des blagues, des caricatures, des discours, font écho aux oppressions qu’elles subissent, qu’elles les blessent. La censure et plus encore l’auto-censure, sévissent, contre la gauche mais aussi par la gauche. Si les maisons d’éditions embauchent des relecteurs-trices dont le travail n’est pas de corriger des fautes d’orthographe ou des phrases « mal construites », mais de scruter ce qui pourrait offenser, c’est bien la preuve que la censure est totalement intégrée aux processus de production de l’art.
Le résultat en matière de création est une double punition : d’un côté, des œuvres sans aspérités et de l’autre, des œuvres destinées, dès leur conception, à susciter des polémiques. Car les deux phénomènes, de la censure et de la provocation commercialement programmée, s’entretiennent réciproquement. C’est parce que la censure existe qu’il est amusant et parfois rentable, d’agiter le chiffon rouge.
C’est donc avec beaucoup d’hypocrisie que la plupart du temps, on prend tel ou tel parti. Car si l’on veut tenir la double exigence du principe de liberté mais aussi, d’un certains « au cas par cas » prenant en compte le contexte et le moment, ce à quoi ceci ou cela fait écho, il faut faire un pas de côté, celui de la critique. La critique : pas la censure, pas les sanctions.
Quant à la justice, saisie dans tous ces cas polémiques, il faut cesser de prendre ses décisions comme l’expression d’une vérité absolue. La justice est un repère, soit, mais elle ne dit pas la vérité, plutôt la limite. Elle dit la limite de ce qu’elle peut juger, elle dit la zone grise, elle ne tranche pas sur la vérité comme absolu mais sur celle qui lui est accessible. Au-delà de cette limite dit-elle – ce fut le cas pour la plainte envers Guillaume Meurice-, je ne peux pas donner raison aux plaignant-es. Au fond, c’est la limite raisonnable de l’argumentation des plaignant-es qui est ici rappelée. Quelque chose d’essentiel soit, mais de limité. Pas de quoi crier victoire, pas de quoi dire « j’ai raison ».
Mais revenons à la critique. La blagounette est criticable d’abord pour le timing : le 29 octobre, nous sommes à deux semaines des massacres du 7 octobre. La blague de Guillaume Meurice, parce qu’elle intervient dans ce contexte et à ce moment, témoigne d’une indifférence coupable à l’égard des victimes du 7 octobre. Non que Netanyahou mérite quant à lui, la moindre indulgence : c’est bien un raciste, c’est bien un salaud et la suite l’a largement prouvé. Mais la blague ne peut pas être entendue comme la critique de ce personnage seul ou son gouvernement parce qu’elle associe juifs et nazis à travers le terme « prépuce », c’est- à-dire un signe distinctif qui dit quelque chose de la judéïté.
Ensuite, parce la comparaison avec le nazisme rappelle le cas Dieudonné, un humoriste qui a confirmé son antisémitisme en s’acoquinant à l’extrême-droite, au parti Égalité et réconciliation et aux négationnistes. La blague de Guillaume Meurice ressemble tant au sketch de Dieudonné (un religieux juif grimé en nazi) que ça raisonne comme un continuum.
Qu’on le veuille ou non, parler de l’absence de prépuce concernant un juif, c’est stigmatiser ici une dimension de la religion juive comme d’ailleurs de la religion musulmane. En outre, concernant les juifs, cela évoque une des pratiques des nazis, qui vérifiaient la présence ou non du prépuce chez les garçons soupçonnés d’être juifs ; afin qu’aucun n’échappe à la destruction.
Juifs et musulmans. Guillaume Meurice a d’ailleurs dit ( AH AH AH !) dans sa chronique du 12 novembre :
J'ai lu aussi les remarques constructives suite à cette histoire de Netanyahu, nazi, prépuce. On m'a dit: ouais, mais le Hamas, aussi, sont des nazis sans prépuce. Eh oui! Eh oui, et j'ai jamais dit le contraire, je me demande même s'il y a pas un problème avec cette absence de prépuce. Ça les énerve en fait. Parce que ça gratte ? Je ne sais pas. Sans doute un facteur aggravant"
Et ce commentaire rigolard, dans la bouche d’une personne de droite ou d’extrême-droite, ça aurait raisonné raciste. Supériorité blanche sur les pratiques des Indigènes, des sémites, aux religions disons, non éclairées. Mais dans la bouche de Guillaume Meurice qui coche toutes les cases (pas juif ni musulman ni femme… mais de gauche, antiraciste, féministe, écolo, décolonial…), ce côté franchouillard, ce côté « petit blanc », personne ne le remarque.
C’est du second degré, voire du troisième, me direz-vous…Peut-être. Mais peut-être aussi que dans le fond, faute de savoir pratiquer l’autodérision, on fait du petit blanc sans le savoir et sans virer de couleur politique.