Le 7 octobre, je ne savais rien. Le 8 octobre, confrontée à l’effroi d’une attaque meurtrière en Israël, de crimes odieux et cruels commis dans les maisons et à une fête de jeunes, je me suis sentie, peut-être pour la première fois, profondément juive. Juive, pourquoi ? Parce que je suis de gauche, que j’attendais de mes camarades de lutte dont je sais que majoritairement ils ne sont pas antisémites, quelques mots et non cette paralysie de l’empathie, cette incapacité à se sentir solidaires de victimes innocentes, comme si les victimes étaient coupables d’être nées là et par extension, d’être majoritairement juives.
Des victimes coupables côté israéliens et des victimes forcément bonnes côté palestinien puisqu’ils sont les opprimés. Rien sur les faits. Aucune solidarité pour les femmes victimes de viols par exemple. Il y aurait de bonnes ou de mauvaises victimes, être victime serait une essence alors que ce n’est qu’une situation, celle, dans cette séquence-là, d’hommes, de femmes et d’enfants israéliens.
Lisant les communiqués du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), de Solidaires, de l’UJFP (Union de juifs Français pour la Paix), constatant le silence d’autres associations, groupes avec lesquels j’ai tant milité, j’ai ressenti cette nausée, celle dont parlaient, chacun à leur manière, Jean-Paul Sartre et Camus. A ceux qui soutiennent les actes du Hamas car « ils ont le droit de choisir leurs moyens de résister », je réponds : non seulement vous méprisez la solidarité internationale qui est un acte libre et non un suivisme, mais vous méprisez les Palestiniens en les supposant tous et toutes en accord avec ces actes et en ôtant aux auteurs la responsabilité de leurs actes. Vous leur enlevez la liberté, celle qui reste à tout opprimé, celle-là même que tout oppresseur veut leur confisquer.
Puis plus tard le dégoût encore face au négationnisme, face à la négation de la cruauté voire l’imputation des tueries à l’armée israélienne, un flot de mensonges, de haine, d’antisémitisme. Sans compter la fascination morbide pour ces actes, sans compter la réciproque nazification par les Palestiniens des Juifs, par les Israéliens des Palestiniens et ici, tous ces commentateurs et jusqu’à des humoristes qui se vautrent dans ce langage odieux allant jusqu’à évoquer la circoncision, ce signe qui permettait aux nazis de reconnaître des Juifs quand ces derniers ne portaient pas l’étoile jaune.
Le 10 octobre, je me suis sentie palestinienne. Les Palestiniens de Gaza ne sont pas coupables. Ils sont des civils. Et puis, mais ça, c’est une autre histoire : je rêve depuis si longtemps à la paix entre ces peuples qui se ressemblent tant et ont tant en commun, dont les tragédies peuvent les rendre si cruels les uns envers les autres et en même temps, pour lesquels il suffirait d’une éclaircie, d’un espoir, pour effacer la haine dans des cœurs pas encore aussi endurcis que ceux dans mon pays, la France.
Puis vint encore la flambée d’antisémitisme et la tentative de confiscation de notre histoire, Juifs et Juives d’origines diverses, par des partis racistes et antisémites. Comment ne pas comprendre ? L’exil est au cœur de notre histoire dans sa diversité et si nous sommes un peuple, c’est alors un peuple de réfugiés. Qui a voulu une maison. Aussi. Qui ne peut se jeter dans les bras de l’extrême-droite, sans devenir traître à lui-même.
Mais vous m’avez volé mes mots. Je n’en ai plus. Mais vous n’avez rien vu à Hiroshima mon amour [1].
Fabienne Messica, membre de Golem, collectif de juif-ves de gauche, auteure de « Les pornographes du malheur ». Éditions Rue de Seine. Mai 2023.
[1] Hiroshima mon amour, film réalisé par Alain Resnais en 1959, texte de Marguerite Duras publié en 1960, Gallimard folio.