Femme et juive : Simone Veil, cible des antisémites
On aurait pu croire que le déchaînement de haine dont les réseaux sociaux sont le théâtre s’en tienne à la diffusion de fake-news et de dénonciation de fakes news de l’adversaire, aux insultes aux vivants, aux déformations de la réalité, bref au présentisme qui est pourtant sa caractéristique principale, la moindre prise de recul lui étant bien-sûr impossible.
Quand il s’agit de haïr, il ne s’agit pas de réfléchir même si on peut haïr savamment, par exemple en étudiant statistiquement les proportions de morts, en faisant des pyramides des âges des morts, en comparant la force de destruction d’une bombe et celle d’un incendie, bref toutes ces folies dont on nous abreuve pour nous convaincre de je ne sais quoi, le cerveau des statisticiens de la mort m’étant inaccessible à jamais, quoique je comprenne, bien-sûr, leurs intentions. Une amie, pourtant bouleversée par la souffrance des Palestiniens, qui a consacrée toute sa vie à la cause palestinienne mais que ces arithmétiques, visant à effacer toute responsabilité du Hamas ulcérait, s’évertuait récemment à rappeler les « valeurs qui nous rassemblent » et que les ennemis de nos ennemis ne sont pas nos amis. En vain.
La cause palestinienne est en train de sortir de son lit, de sa réalité humaine, de son ancrage dans une histoire précise, située historiquement et géographiquement. Elle devient un fourre-tout et ce fourre-tout insulte les victimes de cette guerre, il insulte, au nom de cette cause, le peuple palestinien lui-même dont il ensevelit la souffrance sous les immondices, abjectes, de l’antisémitisme
Nul rapport en effet avec le soutien pour le peuple palestinien quand on couvre d’injures une femme, Simone Veil, rescapée des camps de concentration qui a consacré sa vie à défendre la dignité humaine, qui a soutenu la lutte du peuple algérien pour sa libération nationale, qui a fait voter la loi autorisant l’avortement en France.
En juillet 2017, le site Oumma.com relayait sur sa page l’hommage du président de la République algérien, Abdelaziz Bouteflika, à Simone Veil qui venait de décéder à l’âge de 90 ans :
« C’est avec une immense tristesse que j’ai appris la nouvelle du décès de Simone Veil dont la vie passionnante aura été marquée autant par ses propres souffrances de la barbarie nazie, que par son engagement personnel admirable et inlassable contre toutes formes de déni de justice … Le peuple algérien a compté Simone Veil parmi les amis de ses justes causes. Il n’oublie pas aussi la proximité et la solidarité que cette grande dame lui a témoignées durant la terrible tragédie nationale qu’il a vécue. »
En 2023, Radia Ayad, une ingénieure en informatique qui a créée l’association DMF « droits des Arabo-musulmans en France », va chercher une vieille information, tout à fait officielle, sur des accords entre la France et Israël. Ce type d’accords est courant entre tous les pays européens et avec des pays non-européens concernant le transfert d’organes pour des transplantations. Ces transferts ont lieu quand dans le pays du donneur d’organe, il n’y pas de receveur auquel l’organe peut correspondre et ils sont d’ailleurs réciproques. Ainsi il y a eu des « échanges d’organes « entre des familles israéliennes et des familles des Émirats Arabes et même entre des familles israéliennes et palestiniennes, n’en déplaise aux semeurs de haine. Mais la « révélation » publiée le 11 décembre 2023 par le Media en 4.4.2 alors qu’elle date quand même de 2017 n'a pas vocation à nous apporter une information essentielle. Ce qui interesse le média, c’est que Simone Veil était alors ministre de la santé :
« Cet accord, souligne t- il , appliqué avec une opacité déconcertante pour éviter tout scandale, soulève des questions éthiques critiques. Dans un contexte où la France fait face à d’interminables listes d’attente pour les transplantations d’organes, il est profondément choquant de constater que des citoyens français pourraient être relégués derrière un pays étranger, en l’occurrence Israël ! ».
En novembre 1974, lorsqu’elle présentait la loi sur l’IVG, Simone Veil avait déjà fait face à des insultes inouïes et à de nombreuses attaques antisémites. Elle, une rescapée des camps, comparée avait vu la loi qu’elle défendait, comparée à une loi nazie.
Elle est désormais accusée de double allégeance ! Et ce sur un sujet qui renvoie indirectement aux accusations antisémites les plus rances, les rumeurs sur les Juifs qui boivent le sang de nouveaux - nés « blancs » étant remplacés ici par le thème des organes dont auraient profité Israël au « détriment de français » comme l’écrivent des commentateurs.
Simone Veil n’était pas une femme de gauche, pas spécialement. Mais à l’intérieur de sa famille politique, elle luttait contre tous les préjugés et l’atteinte à la dignité humaine lui était insupportable. Elle détestait par exemple l’homophobie autant que tous les préjugés ce qui n’était guère courant à l’époque et dans ce milieu.
Simone Veil s’est battue pour humaniser les prisons françaises qu’elle jugeait contraires à la dignité humaine, elle s’est battue pour transformer les pouponnières maltraitantes pour les enfants et faire en sorte que les personnels soient formés afin que les enfants soient bien traités. Elle a sauvé personnellement des combattants du FLN, en les faisant transférer en France et en faisant traîner les dossiers quand il y avait risque de peine de mort, jusqu’à l’amnistie.
Selon l'un d'entre eux, Mohand Zeggagh[1], Simone Veil a "sauvé de nombreuses vies humaines en toute discrétion". "Plus de 1 600 condamnés à la peine capitale attendaient dans les couloirs de la mort, écrit-il dans Le Monde. Elle participa activement à différer au maximum les exécutions. (...) En accord avec le ministre Edmond Michelet, madame Veil allongeait le temps de transmission des dossiers les plus exposés ou décidait de les différer dans l'attente d'autres éléments introduits par les avocats, afin de surseoir à l'exécution de leurs clients".
Alors je ne crois pas que les minables antisémites, prétendument solidaires des Palestiniens, ces gens qui cherchent à la salir, pourraient, ne serait-ce qu’une seconde, soutenir son regard : celui d’une femme qui a changé la vie de toutes les femmes dans ce pays et de tant de gens dont elle défendait la dignité. Celui d’une femme qui a sauvé des vies. En toute discrétion. Celui d’une femme qui a souffert. En toute discrétion.
Celui d’une femme juive qui a combattu l’antisémitisme, le sexisme, l’homophobie, le colonialisme. Dans son pays : la France.
[1] Mohand Zeggagh, ancien prisonnier FLN en France, rend hommage à l’humanité de la directrice de l’administration pénitentiaire de l’époque.
Publié le 08 août 2017 à 12h10, modifié le 09 août 2017 à 13h30