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Billet de blog 9 novembre 2025

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Justice et antisémitisme : pourquoi le tribunal exonère Enthoven contre LFI

Dans un climat politique français déjà surchauffé par les tensions autour du conflit israélo-palestinien, le jugement rendu le 6 novembre 2025 par la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a fait l’effet d’une bombe. Raphaël Enthoven, philosophe et chroniqueur médiatique, a été relaxé dans l’affaire qui l’opposait à La France Insoumise pour injure publique.

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Illustration 1
Le philosophe Raphaël Enthoven (gauche) et son avocat Richard Malka devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, le 23 septembre 2025. © Lafargue Raphael / Lafargue Raphael/ABACA

Dans un climat politique français déjà surchauffé par les tensions autour du conflit israélo-palestinien, le jugement rendu le 6 novembre 2025 par la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a fait l’effet d’une bombe. Raphaël Enthoven, philosophe et chroniqueur médiatique, a été relaxé dans l’affaire qui l’opposait à La France Insoumise pour injure publique.

Accusé d’avoir qualifié le parti de « mouvement détestable, violent, complotiste, passionnément antisémite » sur X, Enthoven échappe à toute condamnation.

Ce verdict n’est pas une banalisation de l’injure, mais une affirmation forte de la liberté d’expression dans le cadre d’un débat d’intérêt général.

Au cœur de cette décision : la reconnaissance par les juges que LFI, en tant que formation politique majeure, est parfaitement critique, et que le débat sur ses possibles relents antisémites est légitime, précisément en raison des propos outranciers tenus par ses propres responsables.

Près de 18 mois plus tard, le tribunal de Paris tranche : relaxe totale. LFI est déboutée de toutes ses demandes, et les dépens lui sont mis à charge.

Mais pourquoi cette décision ? Les juges, appliquant scrupuleusement la loi sur la presse de 1881 et la jurisprudence européenne, ont mis en balance la liberté d’expression et la protection de la réputation.

Les raisons des juges : LFI, cible légitime d’un débat acerbe

Le tribunal qualifie d’abord les propos d’Enthoven d’injures – non de diffamations –, car ils relèvent d’opinions outrageantes (« détestable », « cons », « antisémite ») plutôt que d’imputations de faits précis. Pas de lien direct établi entre LFI et l’exfiltration de Glucksmann, par exemple. Mais là où le bât blesse pour LFI, c’est dans l’examen de la proportionnalité : les juges appliquent un test en sept critères, inspiré de la Cour européenne des droits de l’homme, pour déterminer si ces injures méritent une sanction.

Premier élément clé : la qualité des parties.

Enthoven est un intellectuel public, essayiste et éditorialiste (notamment à Franc-Tireur), habitué des débats polémiques. LFI, quant à elle, est un parti politique de premier plan, auto-proclamé « premier opposant » et dominant la gauche radicale. Les juges soulignent que les formations politiques ne jouissent pas d’une « bulle de protection » : au contraire, elles s’exposent volontairement au feu croisé des critiques. « Un parti qui aspire au pouvoir ne peut se retrancher derrière une sensibilité feinte », pourrait-on paraphraser le raisonnement judiciaire.

Deuxième pilier : la contribution à un débat d’intérêt général.

Le tribunal valide sans ambages que les propos d’Enthoven s’inscrivent dans un « débat majeur » sur la violence politique et l’antisémitisme, ravivé par les événements post-7 octobre. L’accusation de « passionnément antisémite » n’est pas prise à la légère : elle repose sur une base factuelle jugée « suffisante ». Enthoven a produit 23 pièces – articles, tribunes, témoignages d’experts comme Yannick Arfi (CRIF), Patrick Salmona (Mémorial de la Shoah) ou Rudy Reichstadt (Conspiracy Watch) – démontrant des « polémiques récurrentes » au sein de LFI. On y trouve des discours de Jean-Luc Mélenchon flirtant avec le complotisme, des provocations de Sophia Chikirou ou Thomas Portes, et des sorties antisémites avérées de David Guiraud. Ces éléments, antérieurs au tweet incriminé, justifient un débat public sur les « relents antisémites » du parti, sans que le juge n’ait à trancher sur le fond (LFI est-elle antisémite ? La question reste ouverte, mais le droit de l’interroger est consacré).

Les propos outranciers des responsables de LFI

Et c’est là que surgit le troisième argument décisif : les propos outranciers des responsables de LFI. Les juges ne mâchent pas leurs mots : « La France insoumise ne peut se plaindre de subir les méthodes qu’elle applique avec délice contre ses adversaires. » Mélenchon et ses lieutenants excellent dans les attaques violentes, les invectives et les « outrances » rhétoriques – du « valet de Tel-Aviv » aux théories complotistes sur le « lobby sioniste ». Ce style, qualifié de « violent et outrancier », expose LFI à des contre-attaques similaires.

Les magistrats citent la CEDH (affaires Perrin c. Suisse ou Lacombe c. France) : dans un débat démocratique, la tolérance aux critiques acerbes est plus élevée pour ceux qui initient le tumulte.

LFI, par ses méthodes, a « ouvert la boîte de Pandore » et ne peut invoquer une victimisation sélective quand on lui renvoie la balle.

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