La cruauté a frappé le peuple israélien le samedi 7 octobre 2023 : 1 400 civils sont tombés lors des attaques perpétrées par le Hamas. Atteint sur leur territoire, hommes, femmes, enfants et vieillards n’ont pas été épargnés, excepté les quelque 220 otages kidnappés qui ont échappé à une mort immédiate. Pour les pacifistes, les amoureux de la liberté, les entichés de la démocratie, ce fut la sidération, l’indignation et la condamnation de cette offensive inhumaine déclenchée par le Hamas. Semer la terreur parmi des innocents constitue un crime de guerre. En réponse à ces tueries, l’ordre de rassemblement a été promptement donné à des milliers de soldats israéliens à travers le globe. Tsahal a rappelé 350 000 soldats réservistes. En seulement trois jours, ils ont rejoint leurs unités. Point besoin de contraindre l’opinion publique pour décider d’engager une machinerie de guerre afin de broyer la branche militaire du Hamas. La rudesse et l’honneur militaires sont inculqués au cours du service militaire obligatoire, lequel dure 24 mois pour les femmes, 32 pour les hommes, et jusqu’à 48 pour les officiers. Les Israéliens sont réservistes jusqu’à 40 ans. Pour les familles d’otages, il n’y a nul autre choix que d’entretenir l’espérance de revoir les leurs uniquement à travers le prisme de la guerre. La détresse de ces familles a rapidement été reléguée au second plan par l’exaltation des militaires.
On a vu de nombreuses vidéos postées dans des stories de réservistes provenant du monde entier et verbalisant un désir de vengeance. On a également vu des fêtes organisées dans les casernes quelques jours avant de débuter les opérations. Ces militaires ont-ils été aveuglés émotionnellement pour encenser de la sorte la puissance guerrière afin de riposter à l’immoral ? Sont-ils conditionnés par cette discipline militaire, tout comme leurs ennemis, à connaître un destin analogue de chair à canon ? « La dignité de la personne humaine est irrémédiablement avilie par l’obligation du service militaire et notre humanité civilisée souffre aujourd’hui de ce cancer. » (A. Einstein*) En quelques heures, l’opération Sabre de fer a commencé par un déluge de feu. À cette heure, 3 600 enfants palestiniens et une centaine d’enfants israéliens sont morts. Une crise humanitaire s’est installée à Gaza, placée sous un blocus total par Israël et où les quelque 2,3 millions d’habitants manquent de nourriture, d’eau, de médicaments et d’électricité. La tournure des événements ravive nos mémoires ancestrales et la société des peuples libres risque de s’indigner devant le miroir des martyrs.
Depuis la création d’Israël, l’attaque du 7 octobre a été la plus meurtrière de son histoire. Au cours de l’histoire de l’humanité, le peuple juif a été persécuté à de nombreuses reprises et il a été pendant des siècles une minorité sans défense. Contemporainement, la Shoah est dans la mémoire collective et a empreint nos esprits pour la postérité. Aujourd’hui, l’armée israélienne s’égare sur le chemin de la guerre pour la guerre. Même par erreur, par dommage collatéral, un civil tué reste une victime de guerre et non de paix. Fauchés dans leur jeunesse, les jeunes enfants israéliens et les jeunes enfants palestiniens sont tous des victimes d’actes criminels perpétrés par des armées. De chaque côté de la frontière, les mêmes scènes ont été filmées, des mères hurlant de rage et d’épouvante face à la dépouille de leurs chérubins. La peine et la douleur n’ont pas de frontières, elles sont universelles. Ces familles endeuillées, israéliennes et palestiniennes, ont un destin lié pour l’éternité. Bombarder, pourchasser les terroristes dans les ruines de ce ghetto peut raviver les vestiges de l’Histoire. Il y a l’oppressé vivant dans un ghetto aux conditions d’existence inhumaines et il y a l’oppresseur, celui qui rend ces conditions monstrueuses. Jamais dans l’Histoire nous n’aurions cru voir Israël inverser le miroir mémoriel du martyr. Comment ce peuple ayant survécu à des conditions de vie similaires dans de nombreux ghettos peut-il user d’une tactique militaire irrévérencieuse à la dignité de ses ancêtres martyrs ? Derrière de nombreux civils tués, il y a des Palestiniens résistant chaque jour à l’oppression du Hamas et donc à celle, redoublée, de Tsahal. De tels procédés militaires rouvrent une brèche de décadence morale à l’échelle mondiale.
Ce conflit est inévitable et sa résolution ne se fera pas à Gaza. Derrière le soldat israélien, il y a un état-major et derrière le terroriste du Hamas, il y a un chef terroriste. Derrière le soldat, il y a une économie de guerre, derrière le terroriste, il y a un financement du terrorisme. Les « architectes » du massacre ne se trouvent vraisemblablement pas en territoire gazaoui. Il n’y a que des exécutants, des donneurs d’ordre, mais pas leur hiérarchie décisionnelle. Il faut des centaines de millions d’euros pour financer les dizaines de milliers d’armes, les centres d’entraînement, les moyens logistiques, etc., et ce ne sont pas les richesses de la Palestine qui permettent cela, d’autant moins que Gaza est soumis à un blocus depuis 2007. Il est légitime de penser que les terroristes et les soldats de Tsahal ne sont que de la matière première pour instrumentaliser une quête guerrière. Preuve en est, la dernière incursion en territoire gazaoui en 2014 (1 400 civils palestiniens avaient perdu la vie) n’a pas éradiqué les réseaux armés du Hamas. Les leaders et les dirigeants n’ont pas été éliminés. Combattre dans ce champ de ruines n’apporte aucun succès ni aucune résolution, il serait plus opportun de s’intéresser à la lutte contre la racine du mal.
« Le prix des valeurs humaines se situe au-delà de toute politique et de toutes les barrières de frontières. » (A. Einstein*) Pour le peuple libre de Gaza, cette guerre sera longue et sanglante, tout comme pour le peuple libre d’Israël qui n’approuve pas la stratégie de Tsahal. Avoir fait le choix d’amoindrir les chances de retrouver les otages et de tuer à chaque bombardement des innocents sont un risque majeur pour Israël, car une autre guerre se déroule à travers le monde, celle de l’opinion. L’abominable attaque a été diffusée en continu sur les réseaux sociaux et dans les médias télévisuels ainsi que dans la presse écrite. Mais la réponse militaire l’est également, ainsi le désastre psychologique se déroule sous le regard acéré du monde connecté. La vie d’un innocent palestinien vaut la vie d’un innocent israélien. Par cette guerre qui affame, affaiblit et réduit les conditions de vie, l’état-major de Tsahal tombe dans l’écueil de l’abject. Pire, de la sorte, il arme moralement le peuple libre palestinien, affermit les esprits de vengeance. Il crée un terreau favorable à l’enrôlement de la jeunesse vers la lutte armée et déraisonnée, il exalte la frénésie de demain. On ne soigne pas une plaie en la ravivant. Un des premiers symptômes mondiaux est, sans nul doute, la montée de l’antisémitisme. C’est une réponse primitive, car c’est le peuple israélien qui devient l’otage d’une idéologie militaire, mais la réalité est plus pragmatique ; cette forme de guerre accroît l’insécurité pour le peuple juif.
Dès lors, il est légitime de se demander si le soldat de Tsahal est plus libre que le Gazaoui. Les guerres n’apportent jamais de réponse, elles créent les discordes de demain. Ce n’est pas le soldat qui signe l’armistice. C’est l’état-major. Ce n’est pas le soldat qui coupe les avoirs financiers. C’est le banquier. Tant qu’il y aura de l’argent, il y aura des tunnels, des réseaux, des armes… Tant qu’il y aura des leaders hors d’atteinte, le risque terroriste sera indissoluble. Alors, que font ces soldats de Tsahal dans le cimetière à ciel ouvert de Gaza ?
Bibliographie
*Albert Einstein, Comment je vois le monde, 1949