Plus de 50 000 spectateurs sont venus encourager les coureurs au Plateau de Beille lors de la 15e étape de la Grande Boucle le dimanche 14 juillet 2024 . L’accès aux supporters en voiture et camping-car devait fermer à 9h, mais le col fut fermé en début de matinée. L’agent officiel du tour de France posté derrière les barrières évoqua que cette décision respecte les mesures de sécurité déployées pour les coureurs et les supporters. Il propose aux milliers de personnes de monter à pied ou à vélo. L’accès au col se transforme en une étape de montage pour les cyclistes passionnés ou en randonnée pédestre pour les piétons. Chacun y va de son effort pour aller le plus loin possible dans ce col hors catégorie de 15,8 km à 7,9 % et trouve une place pour s’installer au bord de la route parmi les milliers de spectateurs arrivés quelques jours avant. Une fois en place, de longues heures d’attentes sont au programme avant d’assister aux passages des champions.
Certains discutent avec les voisins du jour, d’autres préparent des banderoles. Certains suivent le départ de l’étape sur leur smartphone, d’autres peignent le nom de coureurs sur la route. Cet évènement sportif mondial (diffusée dans près de 190 pays) est resté populaire, la présence de la foule si nombreuse laisse entrevoir la teneur des émotions collectives que l’on partage au passage des cyclistes. En ce jour de fête nationale, ce sont des familles entières qui s’amassent sur les bords des routes. Le tour de France est intergénérationnel, on y voit notamment de jeunes enfants, des adolescents, des personnes âgées. La plus grande course cycliste au monde se partage, c’est une fête de famille. On prépare l’évènement, on vit des émotions ensemble puis on les partage pendant une vie. Après 4, 5, 6 heures d’attentes, le grand moment approche, la tension monte d’un cran lorsque les véhicules de sécurité diffusent des messages de prévention en plusieurs langues. Les motards de la gendarmerie passent à vitesse réduite et utilisent le maximum de chaussée afin que les spectateurs restent aux bords de la route.
C’est l’heure de la caravane du tour. Il s'agit de l'activité star avant le passage des cyclistes. Attention à ne pas prendre de risque pour récupérer des échantillons au milieu de la route. Des camions publicitaires passent à vitesse réduite et de jeunes adultes distribuent à la volée des cadeaux publicitaires. 30 minutes de spectacles continus. Puis les supporters font l’inventaire de leur butin, certains enfilent les t-shirts, certains mettent les bobs ou les casquettes, d’autres mangent les gâteaux et les bonbons... Bref la fête bat son plein. Quelques instants plus tard, on entend le bruit des hélicoptères. La foule assise au bord de la route se lève, elle piétine pour que chacun puisse voir ce qui se passe en aval de la chaussée. Des voitures infos sécurité rappellent que le respect des consignes est primordial sur le tour de France. L'importance est de laisser aux coureurs suffisamment d'espace afin de ne pas entraver le bon déroulement de ce spectacle. Et, soudain, l’intensité grimpe d’un cran dans la foule lorsqu’en contrebas on entend la clameur des spectateurs. Ils sont là ! Ils passent ! Cris, applaudissements, chants, prises de photos... Quelques supporters ont des comportements particuliers, ils courent à côté des coureurs, d’autres se tiennent à l’envers pour faire des vidéos en selfie. Dans ce dernier col, les supporters ont la chance de voir passer les coureurs à une vitesse réduite et cela pendant 35 minutes. On ressent une énergie positive, on peut lire des sourires sur la plupart des visages, ce spectacle procure de vives émotions positives. La magie du tour de France a encore opéré.
Néanmoins, les supporters ne se doutent pas à cet instant qu’ils vont être mis délibérément en situation de danger de mort…
C’est le moment de la redescente ! Une fois la voiture-balai passée, les milliers de supporters entament la descente du col. De façon instinctive le sens de circulation est respecté, les piétons marchent côté gauche de la route et les cyclistes redescendent côté droit. Un immense cortège de cyclistes envahit la route, et descend à grande vitesse. C’est un flux incessant, un peloton de plusieurs kilomètres qui prend les ¾ de la chaussée. Après quelques minutes, la folie s’empare de la foule de cyclistes au moment où les premiers cyclistes professionnels se mêlent aux amateurs. On les repère, car ils utilisent un sifflet pour signaler leur présence. Ils doublent à vive allure les amateurs, mais certains tentent de suivre leurs roues. C’est sans doute le moment idéal pour partager la route avec ces athlètes, mais en oubliant pendant quelques instants la mise en danger des personnes autour. Le risque de chute atteint la déraison lorsque les voitures des officiels et des équipes se mirent à doubler à très vive allure ces dizaines de milliers de cyclos. Klaxons intermittents, crissement des pneus, odeur des freins, il règne une atmosphère de chaos organisé pour les piétons. Certains piétons s’arrêtent au bord de la route, d’autres tentent de se frayer un chemin sur le bord de la route. Les cyclistes utilisent toute la voie de droite, les voitures les doublent par la gauche, il reste peu de place pour les piétons. On voit des piétons marcher dans les fossés, des enfants sont en pleurs dans ce vacarme assourdissant, les rétroviseurs frôlent des femmes enceintes, des enfants, des personnes âgées…
Des gendarmes sont assis au bord de la route sur les rambardes, quelques-uns tentent de faire ralentir le cortège en faisant des signes avec les mains. D’autres sifflent et demandent aux cyclistes amateurs de se serrer sur le côté droit de la route. La colère et l’incompréhension sont palpables chez les piétons. On voit de nombreuses familles s’arrêter au bord de la route et regarder ces voitures d’officiels, d’équipes, d’organisateurs, de publicitaires, de policiers et de gendarmes qui ne respectent pas leurs propres consignes de sécurité et qui mettent en danger de mort des dizaines de milliers de spectateurs. Les voitures comme les cyclistes se suivent à quelques centimètres, la moindre erreur pourrait provoquer un drame immense.
Arrivé au pied du col, le sentiment est partagé entre l’immense joie d’avoir été spectateur de ce moment intense de course, mais aussi l’exaspération d’être mis en danger délibérément par les organisateurs du tour. Finalement, c’est la colère qui l’emporte lorsqu’un capitaine de gendarmerie me confia : « Une fois la ligne d’arrivée passée, les équipes réalisent une véritable course contre la montre pour la récupération des coureurs. Les organisateurs ferment les yeux et suivent le mouvement ». Une jeune conductrice de voitures d'officiels me confia « Je n’ai pas d’expérience particulière de conduite à grande vitesse, les officiels nous laissent conduire. On conduit 5, 6 heures par jour ». De jeunes cyclistes me confièrent : « On a attendu le passage d’un coureur pro, on a essayé de le suivre, on a atteint 80 km/h à certains endroits. Un gendarme assis sur la barrière de sécurité me confia : « Je siffle et je mets les bras en croix pour indiquer aux cyclistes de descendre à pied, mais faire face à des dizaines de milliers de personnes, il n’y a personne qui s’arrête ».
Pis encore lorsque l’on entend chaque jour d’anciennes gloires du cyclisme français (Jalabert, Voeckler) asséner des opinions, des propos sur les spectateurs imprudents pendant la course. Ils n’hésitent pas à pointer du doigt à l'antenne les comportements irrespectueux lorsque les consignes de sécurité ne sont pas respectées au passage des professionnels. Une fois la course terminée, ces commentateurs moralisateurs s’installent confortablement dans des voitures avec des conducteurs qui ne respectent aucune mesure de sécurité et prennent des risques inconsidérés après le show.
Car cela est devenu du show organisé au détriment de la sécurité. Interrogés, des habitants et gendarmes partagent le même point de vue : «De nos jours, avec l’engouement mondial, le monument du plateau de Beille n’est pas naturellement conçu pour recevoir le tour de France. Il n’y a qu’un seul accès routier. Tout cela n’est imposé que par des personnes qui ne connaissent pas les routes ni les terrains qui peuvent accueillir cette compétition ».
Que penser du Directeur du tour de France lorsque sa voiture frôle des enfants et des cyclistes amateurs ? Surtout lorsque celui-ci signe le 16 juillet 2024 le dispositif « La route se partage » sur le tour de France. L’opération est également présente dans la caravane publicitaire grâce à deux véhicules qui portent ce message principal :
Pour doubler un cycliste, on s’écarte d’au moins 1,5 mètre.
Ou lorsqu’il « en appelle au bon sens de chacun, c'est du civisme » lorsqu’il parle du non-respect des consignes de sécurité de certains aficionados. Sur le site des organisateurs, on peut lire : « Le Tour de France repose sur une organisation rigoureuse qui amène à déplacer chaque jour 4500 personnes pendant 21 jours ».
Rigueur , civisme, respect, bon sens ne semblent pas s’appliquer à ceux qui le demandent ! Des chiffres également qui sonnent faux : 1 000 personnes formées et sensibilisées aux enjeux de sécurité, 300 membres des forces de l’ordre, le Tour, c’est 28 000 policiers, gendarmes et pompiers. Le budget sécurité, c’est 7 millions d’euros. Mais le tour, c’est surtout un chiffre d'affaires estimé entre 150 et 200 millions d'euros pour ASO, la société d’organisation.
Pour prendre part à l'aventure, les collectivités n'hésitent pas à débourser des millions d'euros chaque année, mais sans doute pas pour mettre en danger leurs concitoyens. Le tour de France est un gigantesque spectacle soutenu par l’argent public. Néanmoins, impossible pour ce moment sportif populaire de suivre le modèle du sport moderne qui ne cesse d’accroitre l’espace entre le performeur et celui du public. En tout état de cause et avec les mentalités actuelles des commentateurs, des organisateurs et des officiels, le jour où le drame arrivera, le spectateur heureux qui redescendait tranquillement aura simplement omis que « Le bonheur ne se trouve pas au sommet de la montagne, mais dans la façon de la gravir. » – Confucius