Les électeurs du Front de gauche votent Merkel. Paraît-il.
- 15 déc. 2014
- Par Michaël Hajdenberg
- Blog : Le blog de Michaël Hajdenberg
Les semaines se suivent et se ressemblent au Journal du dimanche (JDD). Quand l’actualité manque de talent, rien de tel qu’un bon sondage de l’IFOP bien instrumentalisé. Avec le temps, on devrait être habitué. Mais à la lecture, ça empêche toujours le café de passer.
Après le tapis rouge déroulé à Marine Le Pen il y a quelques semaines, c’était ce 14 décembre au tour d’Angela Merkel d’être prétendument portée aux nues par les Français (1011 en l’occurrence).

On ne saura probablement jamais ce que ce type d’interrogation posée à brûle-pourpoint donnerait pour l’Américain Obama, le Russe Poutine, l’Ivoirien Ouattara, l’Egyptien Al-Sissi, le Guinéen Condé. Mais avec ce type de méthode, et puisque les sans-opinions n’existent pas, on pourrait très bien imaginer une « Une » « Condé encensé par les Français ». Pour le coup, ça changerait.

Ensuite, on se plonge dans l’article pour comprendre. Et là, on apprend - comme quoi le journalisme peut encore faire tomber les pires préjugés -, que 51% des électeurs du Front de gauche ont une bonne opinion d’Angela Merkel. Jean-Luc Mélenchon se fourvoie donc. Il prend à contre-pied une majorité de son propre électorat.
Lundi, un peu intrigué, on se réfère à l’étude exhaustive, disponible sur le site de l’IFOP. Les données brutes ne sont pas livrées. Mais par exemple, pour cette information sur le Front de gauche, on apprend, grâce à une petite astérisque, que moins de 40 personnes assurant « avoir une proximité politique avec le Front de Gauche » ont répondu à la question sur Angela Merkel (dans ce genre d’étude, on est sommé de déclarer une proximité avec quelqu’un, sinon l’institut n’arrive pas à dégager des majorités).
Attention, nous prévient donc l’IFOP : « Ces résultats sont à interpréter avec prudence en raison de la faiblesse des effectifs ». Si même l’IFOP nous dit d’être prudent (au delà de l’habituel cliché sur « la-photo-instantanée-de- l’opinion-qu’il-ne-faut-pas-sur-interpréter), c’est qu’il faut vraiment se méfier. Une prudence dont s’est exonéré le JDD.
Moins de 40, ça fait combien de pelés ? 35, 30, 20 ? Faute de réponse de l’IFOP, on ne saura pas. Imaginons qu’ils soient 30. 16 d'entre eux auraient une bonne opinion de Merkel. 14 une mauvaise. Bel échantillon pour tirer des conclusions. Sans même parler de la marge d'erreur, qui selon l'IFOP est déjà de 10 points pour un échantillon de 100 personnes, soit plus de deux fois supérieur !
Ensuite, en guise de conclusion mais pour donner des gages d’équilibre, une seconde question est posée. Il faut se concentrer pour comprendre le graphique mais on saisit que « 76% des Français considèrent que l’Allemagne connaît des problèmes de bas salaire et de pauvreté ». 74% « considèrent que l’Allemagne exerce une trop forte influence sur la politique suivie par l’Union Européenne ». D’où le titre « Merkel plébiscitée » ? N’y aurait-il pas une légère contradiction ?
Attention cependant à ne pas accorder trop de crédit non plus à ces deux dernières « informations » ? En fait, tout dépend de la façon dont la question est posée. Car les Français interrogés sont en fait « d’accord » avec toutes les propositions suggérées. Ils trouvent à 73% « regrettable que des personnalités politiques critiquent l’Allemagne avec virulence compte-tenu de la relation franco-allemande ».
Mais quel résultat aurait-on obtenu si la suggestion avait été : « il est normal que des personnalités politiques puissent fortement critiquer l’Allemagne lorsqu’elles souhaitent que l’Union européenne mène une politique différente » ?
Enfin, 64% des Français pensent que « la France devrait s’inspirer des réformes mises en place par l’Allemagne ». Que veut dire s’inspirer ? Imiter ? Adapter ? Et de quoi parle-t-on ? Des réformes économiques ? Sociétales ? Lesquelles ?
Peu importe. L’auteur de l’article, lui a compris… Selon le journaliste du JDD, « pour les ¾ des Français, la première économie européenne connaît des problèmes de bas salaires et de pauvreté, prix à payer pour obtenir un chômage de 4,9%. » (…) « Comme si les Français savaient que les réformes avaient un prix élevé (…) mais que la France ne pouvait plus se permettre de rester à la traîne du pays de Frau Merkel ». CQFD.
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