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Billet de blog 3 mars 2022

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Les pérégrinations africaines de la dynastie Le Pen

Le Rassemblement national (ex-Front national) a une longue histoire avec l’Afrique. Son fondateur, Jean-Marie Le Pen, puis sa fille, Marine, ont tenté à plusieurs reprises de rendre visite à des chefs d’État africains — en vain, la plupart du temps. Rien de très surprenant : l’extrême droite française de l’après-guerre est intimement liée au continent.

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Article issu de la série "Peste brune et continent noir".

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Longue de trois kilomètres et large de 65 mètres, la piste d’atterrissage est impeccable. Vue du ciel, elle semble avoir été tracée à la règle, d’un seul coup de crayon dans le sable. L’aérodrome d’Amdjarass, inauguré en 2013 mais toujours dans l’attente d’une homologation au niveau international, pourrait être considéré comme un mystère dans cette partie du Tchad, s’il n’avait pas été construit dans le fief d’Idriss Déby Itno, président de 1990 jusqu’à sa mort sur le champ de bataille, le 19 avril 2021. Féru d’aviation et lui-même pilote, l’autocrate, nommé maréchal huit mois avant son décès, effectuait de longs et fréquents séjours dans sa luxueuse résidence. Si bien que nombre de visiteurs officiels devaient s’y rendre pour un entretien. Même bref.

Par la route, relier Amdjarass depuis N’Djamena, la capitale, est interminable. Il ne faut qu’1 h 30 en jet privé. Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, s’y est plusieurs fois rendu. En mai 2019, son Falcon 7X avait d’ailleurs directement rejoint l’aérodrome d’Amdjarass depuis Paris. Le premier ministre Jean Castex en a lui aussi fait l’expérience, le 31 décembre 2020, dans le cadre d’un aller-retour express depuis la capitale tchadienne, où il était venu passer le réveillon avec les troupes de la force Barkhane.

Trois ans plus tôt, en mars 2017, c’est une autre figure politique française qui avait surpris tout le monde en se rendant dans le fief de Déby. Marine Le Pen, présidente du Front national (FN, renommé Rassemblement national, RN, en 2018), alors candidate pour la deuxième fois à l’élection présidentielle française, avait fait le crochet lors de son voyage de 48 heures dans le pays. À quelques jours du premier tour, elle était arrivée à N’Djamena dans un Falcon 900 loué à une compagnie privée. D’abord prévue au Palais présidentiel, l’entrevue avait été déplacée à Amdjarass. Elle avait alors fait appel à une autre société locale, RJM Aviation, pour rejoindre Déby à bord d’un Gulftream 3. Un petit détail qui a fait tiquer la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, chargée d’éplucher les dépenses des candidats, dans son avis rendu en décembre 2017. De fait, une partie du coût de ce premier et unique voyage officiel de Marine Le Pen en Afrique a été invalidée (un peu plus de 18 000 euros pour la location du Gulfstream). Louer un avion pour faire campagne auprès des troupes françaises, c’est une chose. Faire trois heures de jet privé pour serrer la main d’un président africain en est une autre.

« Nous parlons le même langage »

Aux dires de la candidate, interrogée sur France Bleu en juin 2018, elle a dû louer « au dernier moment » un second avion pour se rendre à Amdjarass « parce que le gouvernement français a fait pression sur la compagnie aérienne pour m’empêcher de rejoindre la résidence du président du Tchad ».

Lors de son séjour, Mme Le Pen s’est rendue à l’Assemblée nationale, a été reçue par la Première dame, Hinda Déby Itno (quatrième épouse du « maréchal-président »), a visité un hôpital… Puis elle a rencontré les miliaires français de l’opération Barkhane. Évidemment, elle n’a pas manqué de dénoncer la Françafrique... tout en courant après celui qui, arrivé et maintenu au pouvoir grâce à l’aide de Paris, était alors l’une des incarnations de ce système. « Nous parlons le même langage », a même estimé la patronne du FN. Comme l’a souligné le journal tchadien Alwihda, Le Pen et Déby ont effectivement au moins une idée en commun : le souverainisme monétaire. La première vilipende depuis des années l’euro et défend le retour au franc, quand le second, qui ne manquait pas une occasion de s’attaquer au franc CFA, prônait la création d’une monnaie nationale (sans jamais l’avoir mise en oeuvre). Un dossier toujours brûlant entre Paris et ses anciennes colonies.

« Si je veux que l’Afrique soit la première des priorités internationales de la France, ce n’est ni par charité, ni par cupidité, a-t-elle également déclaré devant les députés tchadiens, c’est tout simplement parce que notre intérêt commun rencontre notre amitié réciproque. » Voilà pour le programme. Un discours que Le Pen voulait « fondateur ». « Elle était venue chercher le vote des militaires, chez qui elle a des sympathisants », croit savoir un membre de la communauté française au Tchad. « À ma connaissance, elle n’a rencontré officiellement aucun civil français », ajoute-t-il. Elle n’a pas non plus rencontré les représentants de la diplomatie hexagonale.

Les visites officielles du Front national en Afrique ont été rares. Beaucoup de tentatives ont échoué. Mais celles qui ont abouti ne sont pas passées inaperçues. Quel est, en effet, le sens de ces voyages alors que le parti d’extrême droite s’attaque régulièrement aux immigrés et aux musulmans en France, dont une grande partie vient justement de ce continent ?

« Le Congo aux Congolais, la France aux Français ! »

En réalité, l’extrême droite française est intimement liée à l’Afrique : le processus de décolonisation, auquel elle s’est opposée (surtout en Algérie), constitue l’un de ses terreaux, tandis que ses revendications nationalistes (préférence nationale, contrôle des frontières, souveraineté monétaire, ethnodifférentialisme1) ont fini par trouver un écho chez certains leaders africains, comme Idriss Déby Itno ou l’Ivoirien Laurent Gbagbo. Le « chacun chez soi » séduit. En 2012, des Congolais avaient d’ailleurs manifesté à Paris en scandant ce slogan : « Le Pen oui ! Le Congo aux Congolais, la France aux Français ! » Les « Patriotes » ivoiriens, soutiens de Laurent Gbagbo depuis sa chute en 2011, ont quant à eux pris l’habitude de manifester à Paris le 1er mai aux côtés du Rassemblement national, qui se réunit à cette date afin de rendre hommage à Jeanne d’Arc.

En critiquant la Françafrique et en s’opposant aux interventions militaires françaises en Libye et en Côte d’Ivoire, le FN a gagné des soutiens sur le continent. Il a aussi dénoncé le coup d’État constitutionnel de Denis Sassou-Nguesso en 2015 au Congo-Brazzaville, lorsque ce dernier a organisé (et remporté avec 93 % des suffrages) un référendum destiné à le maintenir au pouvoir. François Hollande avait, lui, fini par accepter cette parodie de consultation populaire, au grand dam des opposants congolais.

Outre le passif de Jean-Marie Le Pen pendant la guerre d’Algérie, où il a eu notamment recours à la torture, le Front national et l’extrême droite française plongent historiquement leurs racines dans des mouvements « anti-décoloniaux » comme l’OAS2, Occident puis Ordre nouveau3.

Le Pen et Mandela, la rencontre impossible

L’une des figures de ces deux dernières organisations, cheville intellectuelle de l’idéologie frontiste, est François Duprat, assassiné dans un attentat en 1978 (un meurtre qui n’a jamais été élucidé), et à qui Jean-Marie Le Pen rend hommage chaque année. Au Congo, en 1965, Duprat fréquente nombre de soldats perdus de l’OAS – partis en Afrique subsaharienne avec l’aide de Jacques Foccart, le « Monsieur Afrique » de Charles de Gaulle - alors qu’il gravite dans l’entourage de Moïse Tshombe, éphémère président du Katanga sécessionniste. Selon l’historien Nicolas Lebourg et le documentariste Joseph Beauregard, François Duprat établit même des réseaux de financement entre le Congo et la France, qui alimenteront notamment le Front national – mais aussi François Mitterrand. Avec Ordre nouveau, Duprat participe d’ailleurs à la fondation du FN en 1972 aux côtés de Jean-Marie Le Pen4 et de l’ex-OAS Roger Holeindre.

D’autres cadres frontistes, issus ou proches de ces milieux, ont fait une « belle » carrière dans les réseaux de la Françafrique. Le mercenaire Bob Denard a ainsi pioché dans les rangs du Front national pour recruter ses hommes de main. François-Xavier Sidos est de ceux-là : ce conseiller de Jean-Marie Le Pen dans les années 1990 avait dirigé pendant quatre ans, dans les années 1980, la 2e compagnie de la garde présidentielle comorienne, aux ordres de Denard. Jacques Duchemin est une autre de ces figures du Front national (dont il a claqué la porte à la fin des années 1990) qui ont fait leurs classes en Afrique. Il fut tour à tour « sous-secrétaire d’État » de Moïse Tschombe, conseiller du président tchadien François Tombalbaye et ministre de Jean-Bedel Bokassa en Centrafrique…

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