Comme vous n’avez pas manqué de le remarquer, suite à une demande du principale syndicat des pilotes (SNPL) d’Air France, les Pitot ont fait de nouveau la une de la presse et des principaux journaux télévisés. Et l’on a de nouveau entendu les commentaires les plus abscons ou les plus péremptoires sur le sujet. J’avais promis d’en parler mais l’actualité m’a dépassée. Néanmoins, allons-y.
* En effet, l’actualité va plus vite que ma capacité d’écriture (sur mon temps personnel). On apprend donc qu’Airbus a émis un AIT (Accident Information Telex) recommandant le changement de 2 des 3 Pitot de marque Thales (quelque soit le modèle) par des Pitot de marque Goodrich et ce pour les Airbus A330 et A340.
* De même, l’AESA (Agence Européenne de Sécurité Aérienne – EASA en anglais) annonce qu’elle étudie une directive contraignante (Airworthiness Directive) similaire et que sa proposition sera disponible sous 2 semaines.
* De même, Air France annonce aujourd’hui dans un communiqué qu’elle suivra les recommandations d’Airbus pour sa flotte A330/A340.
* Quand au BEA, toujours silence radio.
Premières constatations et les plus importantes :
Une indication de vitesse air (IAS) fausse en elle-même ne provoque pas un accident. Elle crée des conditions de vol plus délicates auxquelles les pilotes sont entraînés (en simulateur). Ils doivent suivre de mémoire (pas de doc à lire) une procédure simple pour sécuriser l’avion. En soit, ce n’est pas la cause de l’accident mais se retrouver dans une situation plus délicate peut être un facteur aggravant s’il faut gérer un environnement difficile.
Donc, il est hors de question de considérer un incident « IAS douteuse » comme étant completement anodin.
Tous les Pitot, qu’elle qu’en soient la marque traversent le processus de vérification des spécifications, de la qualification et de la certification.
Donc ils sont tous considérés comme corrects pour l’avion pour lequel ils ont été choisis.
Cependant, même s’ils sont tous conformes, il y en aura toujours des meilleurs et des moins bons. Donc n’ayons aucun scrupule à sélectionner le meilleur si cela diminue la probabilité d’occurrence des incidents IAS douteuse (donc indirectement les risques d’accidents).
Donc, dans le domaine, le chauvinisme me semble particulièrement déplacé : Si les Pitot fabriqués par Goodrich sont meilleurs, qu’on les utilise !
En plus l’équation économique ne rentre guère en ligne de compte : 2 heures pour changer un Pitot qui coûte de l’ordre de 500 € ! Un A330/A340 coûte neuf, prix catalogue, entre 180 et 250 million de dollars selon le modèle.
Réflexions et réponses à des commentaires pertinents
Dans un des commentaires sur le dernier billet consacré à la catastrophe de l’AF 447, Mr François Mailloux avait relevé :
« Vous concluez avec cette recommandation : "Pourtant, proposer de changer les Pitot ne semblait pas très difficile à formuler." Est-ce que c'est lié à l'hypothèse de survitesse que vous la formulez ? Ou bien est-ce une mesure de précaution ? N'est-ce pas contradictoire avec la réponse au commentaire : "De toute façon, par conception même, un Pitot est sujet à défaillances, et ce quelque soit le fabriquant. »
Concernant ma remarque sur l’absence de préconisations de sécurité par le BEA, ma phrase "Pourtant, proposer de changer les Pitot ne semblait pas très difficile à formuler" faisait référence au contexte plus politique et émotionnel qui à précédé la publication du rapport préliminaire. En effet :
· AF avait déjà lancé le programme de changement (modèle Thales AA vers BA) avant l’accident.
· Sous la pression du syndicat des pilotes ASTER, AF a accéléré ce changement suite à l’accident.
· De même d’autres compagnies aériennes avaient prises cette initiative.
Comme tout cela était réalisé au moment de la publication du rapport du BEA, proposer quelque chose de « déjà fait » n’était pas très « couteux ». C’était le sens implicite de ma formulation.
Dans mon esprit c’était une mesure de précaution : Si les Thales modèle BA sont meilleurs que les AA (ce que des essais avaient montrés), pourquoi ne pas les préconiser (surtout que le coût est négligeable).
Je reconnais ne pas avoir envisagé l’utilisation des Pitot Goodrich car je n’avais pas cherché à connaître les sources multiples éventuellement disponibles. Mais l’idée de base était la même, si il y en a des meilleurs, et que c’est avéré, alors utilisons les ! (cf ma remarque sur les Pitot Goodrich au paragraphe précédent).
Ensuite, lorsque je dis que "De toute façon, par conception même, un Pitot est sujet à défaillances, et ce quelque soit le fabriquant » pour moi ce n’est pas contradictoire. Qu’il y ait des meilleurs et des moins bons, certes mais des parfaits cela n’existe pas. De plus, lorsque l’on regarde comment marche ce senseur l’on imagine aisément la quantité d’éléments indésirables (eau, glace, insectes, poussières, cendres, …) qui peuvent boucher ce tube de quelques millimètres de diamètre.
Donc d’après moi, quelque soit le fabriquant et l’ingéniosité qu’il met dans la réalisation, il se trouvera toujours des cas de défaillance.
Les Pitot Goodrich sont ils meilleurs ?
Question intéressante s’il en est vu le contexte de la prise de décision !
Mr François Mailloux, dans le même commentaire avait posé la question suivante :
« Il doit bien y avoir des statistiques sur ces défaillances des sondes Pitot. On a vu publié dans la presse des incidents dû à ces sondes, mais nous n'avons pas de statistiques complètes : combien d'incidents par rapport au nombre d'heures d'utilisation par sonde Pitot ; quelles sont ces statistiques lors des simulations ; quelles sont ces statistiques si l'on fait un lien avec les conditions atmosphériques ? Ces statistiques sont-elles différentes suivant les modèles (ceux fabriqués par la société Thalès qui équipent les Airbus et ceux fabriqués par d'autres société comme le réclament le syndicat SNPL) ; quels sont les probabilités de panes acceptables et quel seuil de risque accepte-t-on pour ces statiques ? »
C’est exactement la bonne question et malheureusement la réponse est non (j’en suis quasiment certain) pour les raisons suivantes :
1. Le problème qui nous intéresse est transitoire (on ne parle pas de panne franche style tube cassé !). On rentre dans une zone très pluvieuse, ca se bouche, on en sort, ca se draine. On rentre dans une zone de givrage, on en sort ou l’équipage active le dégivrage max, plus de problème, etc.
2. Donc que des « incidents » qui peuvent faire l’objet d’un rapport si c’est dans les procédures de la compagnie aérienne et si l’équipage décide de le faire (un équipage en flux tendu – La Navette Air France, RyanAir, …, peut ne rien signaler, surtout si l’incident est passé complètement inaperçu).
3. Un tel rapport (un ASR dans le jargon Air France) doit être exploité pour qu’on en tire quelque chose. Donc soit, la compagnie prend des mesures correctrices internes, soit elle le remonte au fabriquant de l’avion, soit elle le signale au BEA ou à la DGAC pour signaler un problème de sécurité, soit elle ne fait rien !
Le paradoxe dans tout cela, c’est que plus une compagnie serait sérieuse, plus elle signalerait des incidents et moins elle paraîtrait sure (psychologie, image de marque).
De même, si une autorité de certification nationale (Ex la DGAC qui a certifié les A330 – l’AESA n’existe que depuis 2003) remonte des tonnes d’incidents à son constructeur local (Ex Airbus) elle le discrédite au niveau international (sur le plan de la qualité de l’avion) et elle se discrédite elle-même car c’est cette même entité de certification qui a dit : OK bon pour vol !
Alors, une base de donnée mondiale qui permettrait peut être de faire apparaître une tendance sur disons 10 ans d’exploitation, c’est carrément le rêve (sachant que l’occurrence est très faible ce qui rend l’exploitation statistique difficile).
Donc désolé Mr Mailloux, c’est certes la bonne question, mais le résultat est le vide.
C’est tellement vrai qu’il n’y a aucun incident de Pitot A330/A340 dans les bases du BEA ou de l’AESA (du moins je n’en ai pas trouvé).
Alors, pourquoi changer les Pitot ?
A mon avis tout cela est plus basé sur de l’irrationnel que sur du factuel mais quand même :
· D’après le SNPL, aucun problème avec les Pitot Goodrich. Peut être mais ils sont loin de faire autorité sur le sujet car ce sont essentiellement des compagnies aériennes étrangères qui les utilisent. Cela relève plus du bouche à oreille. En tout cas, et ça c’est factuel, à ma connaissance je n’ai pas trouvé d’incident grave impliquant des Pitots Goodrich. Attention aux conclusions hâtives : amusez vous à chercher dans toutes les bases mondiales, les incidents A330/340, le modèle d’avion, son numéro de série, le fournisseur des Pitot, le modèle, ….
· Côté Pitot Thales, il y a eu 2 incidents Air Caraïbes (avec l’ancien modèle AA) qui ont motivé cette compagnie à changer pour le modèle Thales BA. Chez Air France, on parle de 6 à 10 incidents (toujours avec l’ancien modèle) mais un seul ASR (rapport) est sorti. Eurocockpit accuse même Air France d’avoir supprimé les autres rapports d’incident.
Donc, des présomptions mais j’aimerais bien voir quelque chose d’un peut plus sérieux ! Quel est l’avis de notre professeur de statistiques ?
Néanmoins, d’un côté il n’y a rien et de l’autre entre 4 et 13 signalements (crash compris).
Donc changeons-les mais espérons que c’est le bon choix.
Il y a d’autres choses bizarres :
Certains commentateurs ou sites web mélangent les problèmes des A320 et ceux des A330/A340. Je ne suis pas d’accord avec cet amalgame car les profils de vols n’ont rien à voir.
Les A330 et A340 sont en opération depuis 1993 (premières livraisons). Aujourd’hui, le millième vient d’être livré. Le premier incident relatif aux Pitot que j’ai pu retrouver sur ces modèles d’avion remonte à mi 2008. Etonnant, 15 ans sans problèmes.
Des motivations non techniques sur ces décisions ?
Là, il y a beaucoup à dire et cela fera l’objet du prochain billet.
Merci à ceux qui ont lu jusqu’au bout, j’imagine que c’est assez lourd …
A suivre. Cordialement.