C'est un livre qui fait mal, tout au moins à ceux qui dansèrent place de la Bastille au soir du 10 mai 1981 pour exprimer leur joie. Un livre au demeurant qu'il faut s'obliger à lire car il vient combler un trou de mémoire. Son titre : « François Mitterrand et la guerre d'Algérie », de François Malye et Benjamin Stora (Calmann-Lévy). Le premier est journaliste, le second, historien, auteur d'ouvrages de référence sur cette terre d'Algérie où lui-même est né. Leur enquête porte sur un secret inavouable et bien gardé : le (sale) rôle joué par F. M. dans la (sale) guerre d'Algérie. Après le chapitre de Vichy, voici donc l'épisode algérien que l'intéressé avait partiellement réussi à occulter de son vivant. Nouveau brouillage de son image au moment où les Atrides socialistes se réunissent à Jarnac pour le quinzième anniversaire de la disparition du « fils du vinaigrier », ainsi que l'appellent encore sur place quelques héritiers bornés veillant sur leurs précieux tonneaux et tonnelets de cognac. Jarnacais moi-même, je ne le connais que trop, ce petit cimetière aux cyprès mélancoliques. Des êtres qui me sont chers y reposent à un jet de pierre du gisant présidentiel. J'en ai fait le décor du premier chapitre de mon roman « les Jarnaqueurs » (1), l'un des épisodes de la série Le Poulpe dans lequel un commando s'emparait du cercueil du grand homme. Coup de Jarnac d'un goût douteux !...
Bref, ce que nous apprend le livre de Stora et Malye, c'est qu'entre 1954 et 1957, François Mitterrand s'est fait le complice objectif des tortionnaires civils et militaires dont il eut à connaître les méthodes, d'abord en tant que ministre de l'Intérieur de Mendès France, ensuite et surtout comme garde des sceaux du gouvernement de Guy Mollet, le social-traître élu pour faire la paix et non pour envoyer les jeunes Français au casse-pipe. Si Mitterrand est alors partisan de l'Algérie française (« joyau de l'Empire »), à l'instar de l'immense majorité de la classe politique, sourde et aveugle aux revendications d'un peuple en lutte, c'est plus par calcul politique et soif de pouvoir que par idéologie. Il se verrait bien succéder audit Mollet comme président du Conseil. Pas question donc de démissionner pour des questions de principe, ce serait compromettre dangereusement une carrière bien engagée.
Celui qui, vingt-cinq ans plus tard, aura le courage d'abolir la peine capitale croit alors à son atroce exemplarité. C'est ainsi, qu'on le veuille ou non. Ministre de la justice et vice-président du Conseil supérieur de la magistrature chargé d'examiner les dossiers de recours en grâce des militants du FLN, son rôle est prépondérant. Sous son mandat, pas moins de 45 condamnés à mort seront guillotinés - terroristes et fanatiques pour les uns, patriotes et résistants, selon les autres, parmi lesquels le communiste Fernand Iveton à qui il refuse comme aux autres sa grâce. Par la suite, jamais il ne voudra s'expliquer publiquement sur ce qu'il faut bien nommer une tache indélébile, en plus d'une vision politique honteuse et racornie. « Ce souvenir était odieux et il évitait d'en parler », remarque aujourd'hui Robert Badinter.
Président de la République, Mitterrand amnistie et réhabilite en 1982 le quarteron des généraux putschistes, Salan, Challe, Zeller et Jouhaud, soldats perdus, mais bons Français à ses yeux.
S'il y eut de la grandeur chez lui, il y eut aussi « ça », hélas. Ce passé qui ne passe pas avec son cortège de fantômes.
(1) Editions Baleine, 1998. Repris en bande dessinée par Jeanne Puchol, en 2004, aux éditions 6 Pieds sous terre.