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Billet de blog 26 févr. 2023

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Bilan d’un an de guerre et avenir de la Russie

[Rediffusion] J'offre l'hospitalité de mon blog de Mediapart à des Russes qui luttent contre la guerre impérialiste de Poutine. « L’unique chemin vers une paix durable ne passera pas par des accords passés entre les gouvernements, mais par une démocratisation de la Russie. [...] Cette guerre criminelle, il faut l’arrêter sans condition, sans annexion et sans conquête. »

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Diagnostic

Un an que la guerre fait rage. On peut en tirer des conclusions non seulement sur la politique de Poutine, mais aussi sur toute l’histoire politique de la Russie depuis l’effondrement de l’URSS.

Trois décennies de néolibéralisme « à la russe », s’achèvent dans une dictature. Comment aurait-il pu en être autrement, lorsque l’on impose au peuple par la violence une inégalité sociale structurelle ?

Cette dictature, de façon inévitable, a conduit à la guerre. Cette guerre était le seul moyen pour la dictature de maintenir son pouvoir. Mais tout cela, tout ce processus suicidaire pour le pays,  a été camouflé sous des discours impérialistes et nationalistes.

Une année de boucherie. Et pour le régime de Poutine, cette guerre désespérée n’a mené qu’à la défaite. Et c’est sans compter les dizaines de milliers de victimes, les millions de réfugiés, les destructions monstrueuses qui ne font qu’ajouter au chaos auquel cette guerre a conduit. Non seulement le Kremlin n’a pas réussi à balayer le gouvernement ukrainien, mais il n’a pas réussi non plus à conquérir les territoires qu’il revendiquait.

Les tentatives de Poutine pour faire de cette épopée en Ukraine une « guerre du peuple », ont échoué également : impuissant à trouver des volontaires, le régime a été contraint de recourir à la mobilisation forcée et à l’enrôlement des prisonniers. La faiblesse de l’économie russe, l’isolement du pouvoir russe, la corruption dans l’armée et dans l’appareil d’Etat et l’exclusion du peuple du pouvoir ne laissent aucune chance de voir un tournant s’opérer dans la guerre.

Poutine a mis le pays au bord de la perte de sa souveraineté. Un an après le début de cette aventure criminelle, l’avenir de la Russie est discuté sans qu’elle ne puisse y participer. La conférence de Munich sur la sécurité a été la foire aux propos sur l’avenir de la Russie. Les gouvernements européens s’accordent pour écraser la Russie sur le champ de bataille. Mais les propositions divergent. La première ministre d’Estonie Kaja Kallas estime nécessaire de faire un tribunal type Nuremberg pour juger l’histoire de la Russie, y compris son passé communiste, afin de changer les mentalités russes. Implicitement cela signifie l’occupation de la Russie. Et voilà le président français Emmanuel Macron qui nous explique qu’il ne croit pas à un changement de régime en Russie. D’après lui, les défaites militaires contraindront Poutine à accepter une paix en se pliant aux exigences de l’Ukraine.

Pour résumer, lors de ce sommet de Munich consacré à la sécurité, les positions prises sur l’avenir de la Russie se trouvent entre d’un côté un Poutine affaibli qui se plierait aux exigences de la communauté mondiale et de l’autre une force d’occupation.

Le cycle infernal

Dans toute leur diversité, ces projets d’avenir pour la Russie ont un point commun : aucun ne donne au peuple russe le droit à l’autodétermination de son avenir. 

La tragédie qui se joue actuellement en Ukraine et qui prend en otage des millions de personnes, est le résultat de décisions prises par des chefs d’Etat. Ce n’est pas du tout un « instinct impérialiste » qui aurait conduit les simples citoyens russes à allumer une poudrière en Europe. C’est le régime russe qui porte la responsabilité de cette guerre, ce régime constitué avec la protection et la participation de l’Occident.

Ce sont les hommes politiques occidentaux qui, de peur de voir le communisme ressusciter ont soutenu le coup d’Etat anticonstitutionnel de 1993, ont aidé Eltsine à falsifier les élections de 1996 et, en 1999, ont célébré le processus semi-monarchique de passation de  pouvoir héréditaire.

Par des décennies de coopération avec l’oligarchie russe, l’Occident a joué un grand rôle dans le renforcement de la dictature russe, que l’Occident a ensuite condamné d’avoir initié cette guerre. Poutine a germé et poussé sur « la westernisation » violente de la Russie, sur l’intégration de son économie et de son élite dans un système global néolibéral. Or c’est une illusion de croire que l’on peut reproduire « la conquête l’Ouest », expérience qui fut sanguinaire. Toute westernisation ne conduira inexorablement qu’aux tragédies d’aujourd’hui. 

L’unique chemin vers une paix durable, ne passera pas par des accords passés entre les gouvernements, mais par une démocratisation de la Russie, de tout l’espace postsoviétique, et de tout le système des relations internationales.

Que faire pour sortir de ce cycle de guerre

Cette guerre criminelle, il faut l’arrêter sans condition, sans annexion et sans conquête. La Russie doit retirer ses troupes. Les gens qui ont initié cette guerre doivent avoir des poursuites pénales. Les pertes infligées au peuple ukrainien  doivent être intégralement compensées par ceux-là même qui portent la faute des destructions entraînées par cette guerre : la classe dirigeante russe. On ne peut atteindre ce but qu’en privant cette classe dirigeante de son pouvoir sur la Russie. L’arsenal nucléaire et les ressources naturelles doivent passer sous le contrôle démocratique du peuple. Cela signifie qu’une des clés de la paix se trouve dans la Russie elle-même.

Que peut-on faire depuis l’extérieur de la Russie, si ce n’est formuler et proposer au peuple russe des conditions de paix et de règles du jeu qui ne signifieront pas pour lui un nouvel esclavage et pour ses voisins la menace d’une nouvelle guerre. Seuls sont à même de remplir cette tâche les forces de gauche et démocratiques, les mouvements sociaux et les syndicats : ce sont les véritables forces de paix pour le monde entier.

La nouvelle Russie doit s'appuyer sur une démocratisation sociale. Tant que les richesses nationales appartiendront à une toute petite minorité, la dictature ne cessera de se répéter encore et encore. Défendant leur pouvoir et leurs privilèges, les oligarques tôt ou tard se lanceront dans une nouvelle aventure. C’est pourquoi une transformation réelle de la Russie ne peut se limiter à changer les noms des cabinets dans le palais du Kremlin. Elle doit toucher les institutions sociales, y compris le partage des richesse et de la propriété.

Le pas d’après vers une paix démocratique durable : c’est l’autodétermination des peuples. On ne peut revenir au monde comme il était avant le 24 février 2022 ou avant 2014. On ne ferait que créer les prémisses d’un nouveau cycle d’effusion de sang. On ne doit pas imposer aux peuples ses frontières et son identité culturelle par la violence et par en haut. Les habitants de toutes les régions, qu’ils soient russes ou ukrainiens, ont le droit démocratique de décider de leur destin collectif eux-mêmes, et non sous les balles des mitraillettes C’est pourquoi les populations des régions prises en otage par la guerre doivent pouvoir organiser des referendums transparents et légitimes. Et des referendums auxquels tout le monde doit avoir le droit de participer, y compris les réfugiés qui ont quitté leurs maisons en 2014. Les troupes russes ou ukrainiennes ne peuvent pas être les garantes d’une autodétermination démocratique.

Comment faire

Les défaites militaires rapprochent la Russie de la crise politique. Même ceux qui étaient loyaux à Poutine et qui soutenaient sa politique, sont de plus en plus insatisfaits par la politique du Kremlin. La majorité du peuple veut la paix. L’illusion que le peuple russe soutiendrait cette guerre ne vient que de la violence de la répression en Russie contre quiconque se prononce contre la guerre. Mais tôt ou tard tout cela apparaîtra au grand jour.

L’oligarchie dirigeante a montré son isolement politique total. Dans ces conditions il faut créer une plateforme représentant toutes les forces politiques du pays et tous les points de vue qui existent dans le pays. Il faut arrêter de croire qu’on va régler les choses en donnant la parole à quelques hommes politiques pro-occidentaux comme Khodorkovsi ou Kasparov, qui ont pris la parole à Munich au nom de la Russie.

Pour que la majorité des Russes se voient représentés dans ce forum, il faut qu’y soient représentés tous les groupes idéologiques et politiques. Il ne faut pas attendre l’abstraction d’un « parlement de la Russie libre du futur », mais dès aujourd’hui ce forum doit montrer le chemin vers la sortie de la guerre à savoir le renversement du régime qui a conduit la pays à la catastrophe.

Des centaines de milliers de personnes de différentes opinions politiques ont quitté le pays. Ils peuvent devenir la voix de ceux à qui la Russie interdit de parler. L’émigration politique peut devenir une représentation provisoire du peuple russe. Des millions de Russes à l’arrière et au front se joindront à cette émigration politique, si, malgré les élites russes et occidentales,  cette émigration propose un projet où l’étape finale de cette guerre ne sera pas contre le pays et le peuple, mais contre la classe dirigeante moribonde. Le sort de la Russie ne peut être décidé dans le dos des citoyens. Les citoyens doivent être intégrés au processus, avec une proposition de  programme clair de paix démocratique et honnête. C’est cela qui privera définitivement le régime criminel de tout soutien et qui conduira à son effondrement.

Les socialistes russes contre la guerre

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