MESURES ET DÉMESURES DU CONVENTIONNEMENT DES PSYCHOLOGUES ( II)
Octobre 2024.
Une nouvelle modification du dispositif le 15 juin 2024 me conduit à poursuivre la réflexion proposée sur mon blog médiapart avec de nombreux articles dont le dernier en septembre 2022.
Cette dernière modification concerne la rémunération des séances qui passe de 40 euros ( 1 EEP) et 30 euros (7 APS) euros à 50 euros ( 1 EEP et 11 APS) soit une augmentation de plus de 60 % ainsi que la suppression de l’obligation de prescription médicale ( euphémisée en lettre d’adressage).
Dans le texte Mesures et Démesures (I) cité ci dessus, sur ces 2 modifications , je me suis lourdement trompé.
J’écrivais que la prescription était un verrou incontournable dans la logique de la politique de santé actuelle et que la rémunération de 50 euros était inenvisageable dans le cadre de la grille de tarification des personnels médicaux et paramédicaux.
Mes arguments me semblent toujours recevables, mais l’erreur est manifeste.
Alors pourquoi ces modifications ?
C’est la question que je posais à la table ronde lors des Assises de la Psychologie acte III à Toulouse le samedi 28 septembre 2024.
Une 1ère réponse d’une intervenante affirmait en substance que c’était évidemment pour augmenter le nombre très insuffisant, selon le ministère, de psychologues conventionnés.
Elle ajoutait qu’en l’état des indications et contre-indications imposées ainsi que le nombre limité de séances (12) ce dispositif ne devait pas être validé.
L’argument du recrutement accéléré est probable, mais je m’interroge toujours sur le coût et la perte du verrou médical.
Sur l’argument des indications et contre-indications je reprendrai plus loin les arguments déjà développés en 2022 ( cf lien) ainsi que sur la limitation du nombre de séances.
Une 2ème réponse d’un intervenant réglait l’affaire, ce dispositif était par nature à rejeter quelque soient les modifications apportées.
Soit ! L’argument serait recevable dans une logique militante ou il ne faudrait pas participer à des institutions dont les fondements sont déterminés par la prégnance des idéologies et pratiques dominantes néo libérales...
C’est à dire toutes ! (cf lien)
Compte tenu des évolutions réglementaires et budgétaires ainsi que des contraintes et injonctions ( y compris sur les pratiques), la logique de ces institutions sanitaires ou médico sociale s’inscrit dans des choix politiques qui sont contestables et … contestés. On peut encore y « résister » !
Je m’y suis employé en 20 ans de direction d’ESMS.
Ce ne fut pas sans risques et sans échecs !
Tous les intervenants lors de cette journée ont présenté les difficultés qu’ils avaient à « évoluer » dans ces contraintes institutionnelles mais ont illustré leur capacité à inventer et soutenir des pratiques qu’ils investissaient et inscrivaient dans leur projet militant.
Ce dispositif ne devrait pas être investi et devrait donc être boycotté par les psychologues.
Un argument que je reprends du texte précédent ( cf lien) est qu’il contribuerait au démantèlement du service public et particulièrement des services de soins publics ou privés habilités.
Je répondais à cet argument tout à fait recevable. Ce dispositif s’inscrit évidemment dans une politique de « libéralisation- privatisation » du soin.
L’argument consistant à dénoncer le démantèlement des services publics pour privilégier l’option libérale n’est pas faux, il est très partiel, pour ainsi dire consubstantiel à toutes les politiques publiques en cours depuis de nombreuses années, y compris sous les gouvernements de « gauche ».
Ce projet politique concerne tous les services de soins publics et privés. Il n’y a aucune raison que celui y échappât.
L’argument est recevable, avec précaution, et suppose alors de penser une autre organisation des services de soin, de réorganiser le soin d’une option hospitalo centré et hospitalo curative de la « maladie » vers un dispositif préventif de territoire de « santé » pluridisciplinaire, de revoir les carrières médicales et paramédicales financées sur des fonds publics ( conventionnement ), d’affecter partiellement ou ponctuellement sur des établissements ou services les praticiens conventionnés etc.
On pourrait souhaiter, alors, idéalement, que les services de soins sanitaires et médico-sociaux soient complémentaires avec une pratique libérale, on pourrait même souhaiter que tous les praticiens conventionnés aient une obligation de participation aux institutions de soins publics ou de service public.
Qu’un médecin conventionné ( secteur 1 ou 2 ), c’est-à-dire dont les revenus sont assurés pour tout ou partie par des fonds publics ou privés mutualisés, ait à assurer un service à l’hôpital public ou une institution avec une mission de service public serait souhaitable.
Ce serait alors une obligation dans le conventionnement pour tout praticien conventionné, dont les psychologues.
On pourrait penser tout cela, idéalement, tout en militant pour cet objectif.
Tout cela implique une modification profonde de la société et donc un autre projet politique.
En attendant, revenons sur ce dispositif :
Depuis 2018 :
- il a changé 3 fois de nom : Mon psy...Mon parcours psy… Mon Soutien psy...
- le « parcours » a été balisé 4 fois: prescription médecin traitant ( 2018), attestation de prise en charge (04/01/2019), avis psychiatrique (01/05/2019) et enfin accès libre (15/06/2024).
- le nombre limité de séances a été arrêté 3 fois : 1 EEP +10 APS+10 PSS soit 21 séances (2018), 8 séances (08/04/2022) , 12 séances (15/06/20241).
- La tarification des séances a été valorisée 3 fois : 32/22 euros (2018), 40/30 euros (08/04/2022), 50 euros (15/06/2024).
- les modalités de paiement ont été précisées 2 fois : paiement au praticien par la CPAM (2018) paiement par le patient et remboursement par sa CPAM ensuite.
J’ajouterai le « dispositif d’urgence » PsyEnfantAdo (2021) : prescription médicale,10 séances, tarification 32/22 euros.
On peut raisonnablement penser que toutes ces modifications révèlent une « fragilité conceptuelle ».
Quant aux indications et contre-indications elles n’ont été (apparemment) que peu modifiées, mais les détails sont d’importance.
Je reprendrai des extraits du texte précédent (cf lien)
Un argument souvent avancé est que les critères d’inclusions de ce dispositif sont très restrictifs.
Ils sont d’abord très flous, imprécis, peu rigoureux et/ou incohérents !
Les conventions-cadre précisent dans leurs préambules « patients en souffrance psychique d’intensité légère à modérée. »
Tout comme le dispositif expérimental, les dispositifs suivant définissent des critères d’inclusion et d’exclusion qui sont (presque) identiques.
Ces dispositifs concernent toujours les « souffrances psychiques d’intensité légères à modérées » et excluent les troubles graves, intenses, sévères etc. qui sont partiellement compilés dans le guide à l’intention des praticiens. (addictions, antécédents psychiatriques, TND…)
Dans l’expérimentation (2018 à 2022) et dans un 1er temps, les médecins généralistes avaient orienté leur clientèle « psy » (notamment les chroniques qui hantaient leur cabinet) vers ce dispositif.
Nous avons vu arriver des patients dont les pathologies auraient dû les exclure de ce dispositif, malgré le questionnaire PH09 et GAD 7 qui devait préciser leur niveau anxieux et leur degré dépressif.
Ces questionnaires devaient renseigner les praticiens avec une grille d’ évaluation quantitative et ainsi vérifier si le patient évalué relevait du dispositif.
Les scores devaient être compris entre une limite inférieure et supérieure, 5 et 19 pour l’état dépressif (PH09) et 5 et 15 pour l’état anxieux (GAD 7) !
En deçà, il ne va pas assez mal, au-delà, il va trop mal.
Par exemple pour le PHQ 9 :
Q6 : Avez-vous une mauvaise opinion de vous même ou avez-vous le sentiment d’être nul ou d’avoir déçu votre famille ou vous même ?
Les réponses sont
0 : jamais
1 : plusieurs jours
2 : plus de la moitié des jours
3 : presque tous les jours
Autrement dit : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie... pas du tout !
La pertinence et la rigueur du questionnaire rivalisaient avec celles d’un magazine de divertissement populaire.
Les CPAM des 5 départements expérimentaux ont ensuite mis en place un « service médical » (n° de tél à l’intention des généralistes) le 4 janvier 2019 pour valider la pertinence des orientations médicales et faire un « tri sélectif ». Tout patient devait alors recevoir une « attestation de prise en charge »de sa CPAM à présenter au psychologue pour prétendre bénéficier de ce dispositif expérimental.
Le tri ne devait pas être assez sélectif puisque le 1er mai 2019 une nouvelle disposition entrait en vigueur. Pour la poursuite de la « psychothérapie de soutien » (APS) en « psychothérapie structurée » (PSS) il devenait impératif pour le patient de recueillir un avis favorable d’un médecin psychiatre.
Tous ces dispositifs ont été supprimés (questionnaire GAD 7, PHQ 09, attestation CPAM, avis psychiatrique).
Bref, le tri sélectif n’a pas fonctionné correctement, car il ne peut pas fonctionner correctement.
Comment quantifier une souffrance psychique légère à modérée ou sévère et intense, un risque de suicide ou de décompensation ?
Les critères d’exclusion étaient ainsi définis dans le « guide pratique a l’usage des psychologues et psychothérapeutes » édité pour la mise en place du dispositif expérimental en 2018 et comprenaient notamment
-En ALD ou en invalidité pour un motif psychiatrique ou en arrêt de travail de plus de 6 mois pour un motif psychiatrique,
- Hospitalisation pour motif psychiatrique,
- Prise de benzodiazépines supérieurs à 3 mois consécutifs dans les 12 mois précédent la consultation chez le médecin,
- Prise de psychotropes autres dans les 24 mois précédent la consultation chez le médecin,
- Comorbidité (alcool, autres addictions, autres pathologie ).
" Réactualisé " en 2024 pour la dernière modification du dispositif, le guide à l’usage des usagers précise :
« L’accompagnement psychologique est un traitement par des moyens psychologiques, qui se fait par des entretiens réguliers avec un psychologue. Il peut être pratiqué seul ou associé à d’autres moyens thérapeutiques( exemple: prescription de médicaments) » ( c’est moi qui souligne)
On voit que l’évolution du dispositif est erratique, parfois contradictoire et qu’il importe donc d’essayer d’en comprendre les errements. Il faut pour cela lire (très) attentivement les documents et leur évolution.
Lorsqu’un dispositif recèle tant d’imprécisions, d’errements, de contradictions et énumère plus de contre-indications que d’indications on peut raisonnablement s’interroger sur sa cohérence.
De ce dispositif, on peut, alors, en faire quelque chose. De ces incohérences et contradictions inévitables il faut se saisir.
Comprendre la logique, c’est la question que je posais aux Assises de la Psychologie à Toulouse le 28 septembre 2024, mais je la posais certainement trop maladroitement.
Ce qui m’importait, c’est de savoir si ces praticiens, engagés politiquement dans leur pratique, pensaient une stratégie pour ce dispositif au-delà des critiques discutables qu’ils persistaient à énumérer ( j’ai assisté aux 2 premiers actes des assises régionales ).
Ces critiques restaient identiques à celles formulées contre le dispositif expérimental .
Particulièrement dans les institutions, mais aussi dans la pratique libérale, c’est bien dans les failles et les contradictions des logiques de système que l’on fonde une pratique militante.
Pratique à risques, bien sûr !
La subversion est un objectif stratégique très ambitieux et dangereux, mais exploiter les contradictions d’un dispositif est tactiquement plus praticable.
Évidemment la nouvelle tarification et l’accès libre va intéresser beaucoup des jeunes psychologues qui s’installent ( 3 ans de pratiques avant conventionnement).
Ce que j’entends comme un double « sacrifice » dans les dernières modifications du dispositif ( surcoût financier et pas de contrôle médical) va être compensé par une organisation de la profession déjà prévue ( 6ème année hospitalo- universitaire et Ordre ou équivalent des psychologues. (cf lien).
Tout cela se fera avec les psychologues conventionnés et bien que je ne puisse pas préjuger de la culture politique et des engagements militants des jeunes psychologues, je crains que fassent défaut
quelques vieilles consciences.
De nouveau, j’affirme que si l’on considère que le conventionnement est indispensable pour permettre l’accès aux soins psy pour tous, et que ce conventionnement ne peut se faire que dans le cadre contraint et réglementé des politiques de santé et de leur financement, il faut s’attendre à des difficultés consubstantielle aux choix politiques qui sous tendent la politique de santé publique.
Non seulement il ne faut pas boycotter ce dispositif, mais il faut l’investir politiquement et cliniquement (cf lien).
A ce jour après 65 situations dans le cadre expérimental puis 314 ( dont 30 CSS ex CMU ) depuis la généralisation du dispositif ( 64 en cours ) j’apprends une autre pratique que celle que j’installais en septembre 1985, Boulevard Silvio Trentin avec mes 2 amis médecin et kine au sortir de nos universités et écoles.
Nous partagions nos idéaux.
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