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Billet de blog 18 mars 2021

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Le médecin, son malade et le psychologue : la passe

Le dispositif expérimental de prise en charge de soins psy par la CPAM est l'objet de nombreuses réflexions sur la place des psychologues dans notre société et leur rapport au " médical". Un psychologue peut il accepter de travailler sur prescription médicale ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai déjà argumenté mon point de vue sur la prescription médicale de soins psychologiques et/ou psychothérapiques ainsi que sur le conventionnement des psychologues et les incidences sur la pratique.( https://blogs.mediapart.fr/michel-cazeneuve/blog )

Je raconte dans un de ces blog comment j’ai lâchement abandonné la dispute devant un auditoire tout acquis à la « liberté » de la pratique ( pas de prescription médicale) , le « libre » choix du psy ( pas de conventionnement) … et le remboursement des séances par la sécurité sociale.

C’était à Toulouse lors de la 2ème journée organisée le 23 mars 2019 par l’Université et la FFPP.

J’ ai gentiment épinglé l’affaire plus tard comme : le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière et sévèrement qualifié la position d’un professeur de médecine générale qui incitait à la mobilisation des psychologues sur cette « revendication ».

Je vais évoqué là un effet de « la prescription médicale » sur une situation toute récente, c’était mercredi 17 mars, hier.

J’avais déjà présenté une situation ( lors de ces journées universitaire) qui me semblait montrer qu’il y avait des situations ou cette prescription non seulement n’empêchait pas le travail «  clinique » mais le permettait. ( cf blog)

Son médecin traitant prescrit à madame une consultation psychologique.

Plus précisément ce médecin est un médecin que je connais depuis longtemps et avec qui nous échangeons régulièrement sur différentes situations et sur le dispositif de soins CPAM.

Il me l’adresse donc avec une prescription qu’elle me tend lors de la 1ère séance.

Elle a 52 ans et est en conflit avec son employeur et particulièrement la cadre ( n+1) avec laquelle elle a des altercations très violentes ; arrêt de travail, « burn out » (!?) médecine du travail, convocation à un entretien préalable, angoisses, insomnies etc …

Les 4 premières séances nous occuperont à modifier sa posture professionnelle ( éviter la conflictualisation des relations) et à préparer une stratégie de défense dans le cadre du droit du travail et de la convention collective de son entreprise.

Au cours des séances viennent bien sûr des éléments plus personnels de son histoire et particulièrement de sa mère qu’elle qualifie de « nuisible et toxique »… tout comme sa cheffe de service.

Les choses s’apaisent du coté professionnel et elle constate qu’elle n’est pas tout à fait « victime de malveillance » et qu’elle dispose d’éléments et de ressources importants sur lesquels elle peut étayer et consolider sa position dans l’entreprise.

De fait lors de l’entretien préalable avec son employeur, assistée par un délégué du personnel , elle a pu se défendre et constater qu’il y avait (aussi) un conflit « managérial ».

Ces 1ères séances pourraient se définir comme «  psychothérapie de soutien, cf l'appellation contrôlée par la CPAM).

Bref, le conflit professionnel se résolvait, mais avait laisser entrevoir des conflits plus personnels, notamment dans sa relation avec sa famille, conflits qu’elle avait clairement repérés comme éléments d’une répétition dans la sphère professionnelle.

Elle souhaitait alors poursuivre dans le cadre d’une psychothérapie ( structurée cf l’appellation contrôlée par la CPAM).

Elle devait être hospitalisée pour une opération relativement bénigne et me recontacter 10 jours plus tard.

Pas de nouvelle pendant 1 mois, puis elle m’appelle pour un rendez-vous urgent.

Je la reçois la semaine suivante …

La séance de son retour commença par un point sur sa situation professionnelle. L’affaire était réglée, elle s’excusa de ne pas m’avoir contacté plus tôt comme elle s’y était engagée, me parla des problèmes familiaux, sa mère…

Son père décédé… et elle éclata en sanglot.

Puis elle me raconta :

Elle a vu son médecin qui la connaît depuis très longtemps, ils se tutoient, elle venait le consulter pour une banale affaire de suivi d’opération sans complication : tout allait bien !

Elle me raconte, il lui demande :

«  Mais tu vas bien ? »

Elle s’est effondrée , a éclaté en sanglot, dans l’impossibilité totale d’en dire quoi que ce soit, laissant son médecin quelque peu désemparé lui prescrire un anxiolytique… et lui recommander de me recontacter rapidement pour poursuivre le travail engagé.

Ce qu’elle fit dès qu’elle quitta le cabinet médical.

Ce qui se passa dans la suite de la séance ne s’écrit pas, en tout cas pas bien , pour moi.

Petite fille elle avait été régulièrement abusée par son père, et n’en avait jamais parlé, à personne,

«  vous êtes la 1ère personne à qui j’en parle »….

Voilà une situation, parmi bien d’autres.

Je me risque à penser que ce médecin a su percevoir chez sa patiente une faille, une blessure qu’elle tentait depuis de nombreuses années de dissimuler, que si il n’avait pas fait une 1ère prescription, elle se serait perdue dans un conflit professionnel qui aurait probablement provoqué un effondrement psychique, que s’il n’avait pas renouvelé sa prescription ( oralement), elle ne m’aurait probablement pas recontacté ( ce qu’elle m’a confirmé)… et pourtant de ce qui la tourmente depuis très longtemps, il n’en sait rien !

Pourrais t’on toutefois considérer que la relation de confiance établie entre (le médecin et sa patiente) et (le médecin et le psy) y suffirait pour que se déroule ce transfert de transfert ?

Peut être dans le meilleur des cas, probablement parfois, mais probablement pas pour cette situation.

Il y aurait de toute façon là aussi, dans le meilleur de ces cas une « prescription ».

Si la prescription ne peut pas désigner une adresse cad un praticien, ce médecin toutefois m’adresse sa patiente en me nommant.

Lors de la dernière consultation avec sa patiente où il renouvelle sa « prescription », le médecin me nomme aussi, mais il précise ;

«  Si ça se passe bien avec MC, il faut continuer avec lui. »

Il prescrit mais n’ordonne pas !

Prescription et pas ordonnance !

Transfert de transfert et passe.

En Ovalie le plus beau geste du rugby est la passe, l’ovale est alors un bout de papier prescrit.

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