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Billet de blog 26 octobre 2018

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VIOLENCES A L’ÉCOLE. Poids des affects et volatilité de la pensée.

Un élève a menacé d’un pistolet son enseignante. Le pistolet était factice. Ce n’était qu’un jeu, certes idiot, mais un jeu de dupes. Les ressorts de cette situation traversent et dépassent les protagonistes. Le chef de l’état a exigé des « mesures » Un « comité stratégique » s’est réuni et propose un « arsenal » de mesures !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est reparti, pour encore quelques temps, temps qu’on n’imagine pas être aussi cycliques et lointains !

« Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants,

Lorsque les fils ne tiennent plus compte de leur parole,

Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter,

Lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus au-dessus d'eux l'autorité de rien et de personne,

Alors c'est là en toute beauté et en toute jeunesse le début de la tyrannie.»

Platon, expert lui aussi de la modernité, nous avait mis en garde, déjà, 347 ans avant JC !

« La république » Livre I à X. Éditions Paris Gallimard 1992 (livre VIII vers 562, p 295 et suivantes).

En exergue de mon bouquin, «  Journal d’un psychologue de la République » je cite Tobie Nathan :

« L’école m’était une terreur- elle l’est restée.

Je percevais viscéralement sa volonté de combattre

les appartenances, de les tourner en dérisions.

...Alors on taisait sa singularité, souvent évidente, pourtant.

On dissimulait. »

« Les âmes errantes », éditions Les Iconoclastes Paris 2017 p 30 et 31.

Plus loin, Magyd Cherfi :

« Si tu comprends pas, fait semblant », chuchotait à son oreille la mère de Magyd Cherfi, au portail de l’école du quartier des Izards.

« Ma part de Gaulois ». Éditions Acte Sud 2016. (p17)

L’école est traversée par les violences tout comme l’entreprise, l’hôpital, la justice, la police…Dans toutes ces institutions on y souffre souvent et on y meurt parfois.Le « marché du travail » est violent. On peut y mourir de désespoir, sans travail. On peut y mourir aussi par trop de travail, ce que les japonais nomment « Karoshi », la mort par excès de travail.

La violence la plus dévastatrice que commet l’école est régulièrement dénoncée par les enquêtes Pisa de l’OCDE qui se succèdent régulièrement tous les 3 ans :

Notre système scolaire, non seulement ne réduit pas les inégalités sociales, mais il les aggrave.

Quelle plus grande violence peut on faire à un corps social, à ses « pauvres »,« démunis », « exclus »,  « éloignés de l’emploi », « défavorisés »… ?

Pour les enfants des pauvres, l’école n’envisage plus le meilleur... mais promet la  «  réussite pour tous », sous réserve de « mérite » de chacun !

C’est par le menu, le quotidien, que je décris les violences de cette école. J’y raconte des histoires d’élèves, de familles, d’enseignants.

Les violences sont quotidiennes si on entend aussi celles qui traversent tout le tissu social dans ce qu’on nomme les « quartiers difficiles », REP+ pour l’Éducation Nationale.

Les violences sont aussi celles qu’exercent cette école de la république sur les familles et les enfants.

C’est par le menu, le quotidien, que je décris aussi toutes ces situations de « mépris de classe », de « colonisation des familles » (& XI), de « médicalisation de l’échec et de la pauvreté » (&XIII) que l’école inflige à ces enfants et leurs familles, bien souvent à « l’insu de son plein gré », mais pas toujours.

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=58908&motExact=0&motcle=&mode=AND

Extrait 1 :

...

Dès 1981, les principes de l’Éducation Prioritaire se fondaient sur une politique de compensation : « donner plus et mieux à ceux qui ont moins ».

L’objectif était bien sûr de réduire les retards scolaires et déjà, de faire réussir tous les élèves.

Extrait de la circulaire de 1981 :

« En fait, les échecs et abandons scolaires sont essentiellement liés aux difficultés que rencontrent dès le début de leur scolarité les élèves provenant d’un milieu socioculturel démuni. Il est donc nécessaire de mettre en œuvre prioritairement dans ces zones des projets éducatifs capables de contribuer efficacement à la lutte contre les inégalités sociales et de réduire ainsi l’échec scolaire ».

Le dispositif est impressionnant !

Lois, décrets, règlements, circulaires, l' Éducation Nationale entreprend dès lors une véritable croisade textuelle contre les inégalités :

1982 – 1983 : Création des Zones Prioritaires

1990 – 1991: Création des Zones d’Éducations Prioritaires (ZEP*)

1999 – 2000 : ZEP* et Réseaux d’Éducation Prioritaire (REP*)

2008 – 2009 : Création des Réseaux Ambition Réussite et Réseaux de Réussite Scolaire (RAR*)

2012 : Écoles, Collèges, Lycées pour l'Ambition, l'Innovation et la Réussite (ÉCLAIR*)

2015 : Refondation de l’École !

Extrait du site ressource éducation.gouv.fr 2016:

« La politique d’éducation prioritaire a pour objectif de corriger l’impact des inégalités sociales et économiques sur la réussite scolaire par un renforcement de l’action pédagogique et éducative dans les écoles et établissements des territoires qui rencontrent les plus grandes difficultés sociales... La refondation de la politique d’éducation prioritaire est généralisée à la rentrée 2015 ».

Les évaluations internationales, notamment PISA, mais aussi de nombreuses études, confirment obstinément la corrélation entre le milieu socio-économique et la réussite scolaire .

Les divers rapports posent la question de cette «difficulté» de l’École de ne pas parvenir à remplir sa mission de « réduire  les inégalités sociales » existantes ...qui ne cessent d'augmenter !

l’Éducation Nationale en convient et en 2016 constate l'échec de ses politiques de réduction des inégalités.

...

Au fil des ans, la quantité d’écoles et de collèges intégrant ces différents dispositifs n’a jamais cessé de s’accroître.Tant de moyens humains, financiers, tant d'expertises, d’énergie et de bonnes volontés pour faire pire est surprenant et pas très raisonnable.Malgré tous les dispositifs de compensation, les enfants de pauvres persistent à faire de pauvres études, et les inégalités non seulement se reproduisent, mais s'aggravent.

...

Extrait du rapport de synthèse du CNESCO ( Conseil National d’Évaluation de la Scolarité) de septembre 2016 :

22 équipes de chercheurs français et étrangers (sociologues, économistes, didacticiens, psychologues) ont contribué à ce travail collectif afin de « mesurer et de comprendre l’ampleur et les formes réelles des inégalités sociales et migratoires et comment l’école française fabrique de l’injustice scolaire ».

Cette étude est présentée comme une première en France.

« L’école française est marquée par un paradoxe qui, les années passant, devient de moins en moins soutenable. D’un côté, pas un politique qui n’évoque sa volonté farouche et déterminée de construire une école ‘républicaine ‘, moteur de justice sociale et socle de notre modèle d’intégration à la française. De l’autre, les résultats des enquêtes PISA révèlent tous les trois ans des inégalités sociales et migratoires en forte progression. D’élève moyen dans les années 2000, la France se place désormais en toute fin de palmarès pour les inégalités à l’école ». (p 3)

« Une longue chaîne de processus inégalitaires a rendu l’école française ultra-reproductrice. Les inégalités sociales à l’école se fabriquent donc tout au long de la scolarité, par strates successives. Inégalités de résultats, d’orientation, de diplomation, de rendement social du diplôme : c’est donc une longue chaîne de processus inégalitaires, souvent peu identifiés, qui conduit à faire de l’école française un lieu de reproduction sociale ». (p 5)

« On note qu’il y a une très grande continuité, en France, dans les politiques scolaires de lutte contre les inégalités sociales et migratoires, par-delà les alternances politiques, comparativement à l’éventail riche des options politiques mises en œuvre à l’étranger. Comment un tel activisme politique peut-il conduire à des résultats aussi mitigés ? Et comment l’absence de résultats de ces politiques mis en évidence depuis 15 ans a-t-elle pu conduire à une telle continuité dans les politiques scolaires ? ». (p 6)

...

La réussite de tous est une promesse indéfiniment repoussée.

L’École n'est résolument pas l’École de la réussite de tous !

Les faits sont têtus !

Chacun peut y réussir, certes, mais les statistiques, qui ne s'intéressent pas aux individus ou aux exceptions mais aux collectifs et aux classes, divergent inexorablement.

Certains pauvres réussissent, parfois, mais là aussi les probabilités insistent : parfois, certes, mais de moins en moins souvent.

...

Il y a urgence pour la croissance et pour la sécurité de notre République.

Tous ces enfants pauvres en échec menacent notre croissance économique et notre sécurité publique.

...

François Dubet s’ interroge :

«  Pourquoi ne parvenons-nous pas à changer une organisation du système éducatif qui accroît à ce point les inégalités ? Pourquoi est-il si difficile dans notre pays de mettre en place des cycles d’enseignement sur plusieurs années, de concevoir des modes d’évaluation qui encouragent et qui font progresser dans les apprentissages ? Pourquoi les décisions d’orientation sont-elles si dépendantes des origines sociales ? En bref, pourquoi ça ne change pas ou si lentement ? Même si cette question blesse nos idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, aurions-nous collectivement une - préférence pour l’inégalité - ? ».

« La préférence pour l’inégalité, comprendre la crise des solidarités ». Éditions du Seuil 2014. (p 14)

Aurions-nous une préférence pour l'inégalité ?

Alors, pourquoi ? Pourquoi cette « préférence pour l'inégalité » ?

Ce n'est pas très chrétien, ni très raisonnable cette préférence !

On pourrait évoquer une puissante résistance au changement de l’École, l’inertie et le cuir tanné de ce « mammouth » irréformable, malgré de très nombreuses expériences innovantes citées dans le rapport de l' IGEN* . Beaucoup ont fait la preuve de leur pertinence et de leur efficacité !

Pourquoi les décisions d’orientation sont elles si dépendantes des origines sociales ?

On saurait alors ce qu'il faudrait faire mais on ne le ferait pas ?

Est-ce absurde ?

Et puis, d’où nous viendrait cette « préférence pour l'inégalité » ?

Demande de mieux et désir du pire ?

Si tant de moyens depuis plus de 30 ans sont inopérants pour « contribuer efficacement à la lutte contre les inégalités sociales et réduire ainsi l’échec scolaire » ou « corriger l’impact des inégalités sociales et économiques sur la réussite scolaire », il devient indispensable de penser et poser la question de l'échec scolaire différemment.

Donner plus, par l’École, à ce qui ont moins à la maison ne fonctionne pas.

L'inéquation égalitaire résiste et ne s'équilibre pas .

L’inadéquation persiste.

C'est très surprenant, autant de moyens alloués, de réflexions d'experts, de dispositifs déployés pour, non pas l'espoir de meilleurs résultats, mais la probabilité de pires!

C'est tout à fait déraisonnable, « faire toujours la même chose et s'attendre à un résultat différent ! ».

C'est la définition que l'on prête à Einstein de la folie (insanity) !

En effet c'est fou !

Peut être faut-il invoquer et tenter de «comprendre  la bêtise des intelligents » comme Jacques Généreux, professeur d'économie à Science Po, nous le propose dans le chapitre 9 de dernier ouvrage «La Déconomie ».

« La Déconomie, quand l'empire de la bêtise surpasse celui de l'argent ». Éditions du seuil 2016.

Mais est ce vraiment fou ?

Tous ces dispositifs n'ont pu « corriger » les effets de structure, aucune solution n'a été trouvée et la situation s'est aggravée !

Si de tels efforts depuis 1981 sont restés vains, il serait alors raisonnable de constater que de puissants déterminismes sociaux économiques sont à l’œuvre, de manière de plus en plus efficace, et traversent l’École malgré tous les dispositifs mis en place.

« Un problème sans solution est un problème mal posé » disait encore Einstein.

 Thomas Picketty cite Emile Boutmy qui en 1872 créait l'école « Science-Po ».

« Contraintes de subir le droit du plus nombreux, les classes qui se nomment elles-mêmes les classes élevées ne peuvent conserver leur hégémonie politique qu'en invoquant le droit du plus capable . Il faut que, derrière l'enceinte croulante de leurs prérogatives et de la tradition, le flot de la démocratie se heurte à un second rempart faits de mérites éclatants et utiles, de supériorité dont le prestige s'impose, de capacité dont on ne puisse pas se priver sans folie.

Il faut justifier et donner un sens aux inégalités qui ne sont plus naturelles. »

p 782.

Plus loin et plus tard :

« Nos sociétés démocratiques s'appuient en effet sur une vision méritocratique du monde, ou tout du moins sur un espoir méritocratique, c'est- à- dire une croyance en une société ou les inégalités seraient davantage fondées sur le mérite et le travail que sur la filiation et la rente. Cette croyance et cet espoir jouent un rôle tout à fait central dans la société moderne... il est vital de faire en sorte que les inégalités sociales découlent de principes rationnels et universels, et non de contingences arbitraires. » p 671-672.

« Le capital au XXI ème siècle ». Éditions du Seuil 2013.

Ce système méritocratique a plus ou moins bien fonctionné pendant des décennies, ce qui a permis à un système social, de se reproduire, de reproduire ses inégalités.

Le rêve était accessible, particulièrement pendant les «  30 Glorieuses ».

On pouvait dire aux enfants pauvres que s'ils étaient de très bons élèves, ils pouvaient être instituteurs ou professeurs de collège, ou même plus encore.

On pouvait dire aux familles pauvres que l'état prenait en charge la scolarité et la formation de leurs enfants.

Les pauvres accédaient à un savoir de classe, on les y aidait, mais encore fallait il le mériter !

Ce régime méritocratique fondait l’École de la République et préservait la reproduction des classes sociales.

Il faut alors que certains pauvres puissent réussir.

Les Écoles Normales d'Instituteurs permettaient après la guerre la réussite des pauvres.

...

Cette fonction de reproduction qu'a décrite Bourdieu n'est bien sûr pas systématique et une certaine porosité de classe est nécessaire au mythe de la méritocratie.

La République n'était pas en danger comme il semblerait qu'elle le soit.

L’École n'est pas en «  lévitation sociale  » mais est une institution, un appareil qui a différentes fonctions, un Appareil Idéologique d’État ( AIE) précisait Althusser.

Voilà qui nous éclairerait sur cette « préférence pour l'inégalité ».

Voilà qui pourrait contribuer à expliquer que tant de moyens depuis plus de 30 ans sont inopérants pour «contribuer efficacement à la lutte contre les inégalités sociales et réduire ainsi l’échec scolaire » ou « corriger l’impact des inégalités sociales et économiques sur la réussite scolaire »...

Il faut bien constater que «  le renforcement de l'action pédagogique  » ne compense pas les inégalités socio-économiques et culturelles qui déterminent les difficultés et les échecs scolaires.

Lutter efficacement contre les inégalités de réussite scolaire impliquerait donc de lutter efficacement contre les inégalités socio-économique , c'est à dire lutter pour une société plus égalitaire....

Malgré tous les dispositifs de compensation, les enfants de pauvres persistent à faire de pauvres études.

L’École a pour mission principale de reproduire une organisation sociale, des normes, des valeurs et des classes sociales à partir d'une distribution des savoirs.

L’École a une fonction politique de transmission des savoirs et de reproduction sociale.

L’École réelle remplit cette fonction, c'est une fonction essentielle de l’École, c'est l’École réelle.

L’École rêvée, c'est celle dont parlent depuis mon entrée dans l’Éducation Nationale en 1972 les 18 ministres qui se sont succédé de Joseph Fontanet à Najat Vallaud-Belkacem.

Elle est belle, elle peut être désirée, mais ne peut donner ce qu'elle n'a pas.

...

L’École reproduit !

Elle reproduit aussi les violences socio-économiques et leurs lots de manifestations individuelles et collectives.

Elle reproduit  de bonne foi  .

« … Plus on avance dans l'analyse d'un milieu, plus on est amené à dédouaner les individus de leur responsabilité,- ce qui ne veut pas dire qu'on justifie tout ce qui s'y passe - et mieux on comprend comment il fonctionne, plus on comprend aussi que les gens qui en participent sont manipulés autant que manipulateurs. Ils manipulent d'autant mieux, bien souvent, qu'ils sont eux-mêmes plus manipulés et plus inconscients de l’être ». ( p15 )

« La violence symbolique est une violence qui s'exerce avec la complicité tacite de ceux qui la subissent et aussi, souvent, de ceux qui l'exercent dans la mesure ou les uns et les autres sont inconscients de l'exercer ou de la subir ». ( p 16 )

Bourdieu parlait d'un grand média longtemps concurrent déloyal de l’École, la télévision.

« Sur la télévision ». Éditions Raison d' Agir 1996. ( p 15 et 16)

L’École reproduit les savoirs et les classes sociales... mais elle crée et invente aussi !

C'est dans cette contradiction structurelle de « mise en conformité et mise en question » de l’École, contradiction dont on peut être averti mais pas affranchi, que s'exerce « la liberté pédagogique » de l'enseignant.

Enseigner c'est reproduire et inventer.

Fin de l’extrait 1 .

Alors que nous propose t’on, quelle nouvelles inventions ?

LES ÉQUIPES MOBILES ?

Le chef de l’état a exigé des « mesures »

Un « comité stratégique » s’est réuni et propose un « arsenal » de mesures !

-faire entrer les forces de l’ordre au sein des établissements scolaires.

- établir des"permanences de policiers ou de gendarmes dans les établissements ".

-pour les élèves de 13 à 18 ans, "la possibilité d'avoir des établissements spécialisés", avec des personnels éducatifs, mais aussi "d'origine militaire ou de la police".

- multiplier les travaux d'intérêt général dans les établissements scolaires, ce qui aura une forte valeur éducative".

-création de 20 nouveaux « centres éducatifs fermés ».

-des "mesures d'accueil de jour" …

Extraits 2 :

Le chantier débuta et dura toute l'année scolaire de mon arrivée dans l’école.

Un groupe de travail réunit les cinq directeurs d'école du secteur et mes collègues du RASED* (Réseau d'Aides Spécialisées aux Élèves en Difficulté).

Pendant 6 séances de travail le groupe s'est réuni pour, peu à peu, repenser et réorganiser nos modes de fonctionnement, particulièrement avec les familles.

...

Chaque trimestre une à trois journées étaient consacrées dans chaque école à échanger à partir de ces fiches de liaison avec l'enseignant de la classe, le directeur d'école et les enseignants spécialisés du RASED* .

...

Aucune décision ou intervention auprès des familles ne pouvaient alors se faire, à titre individuel, avant une évaluation collective et une proposition concertée.

Nous souhaitions évidemment par là réguler les exaspérations et les multiples indications de suivis ou de soins que les enseignants adressaient aux familles de façon plus ou moins injonctive.

- Ce n’est pas possible, il n'est pas élève, il faut, rééducation, orthophonie, psychomotricité, soins psychologiques, psychiatriques....

Beaucoup de ces enseignants qui avaient plus ou moins fait le choix de travailler dans ces écoles que l'administration nomma école en Zone d’Éducation Prioritaire puis Réseau Ambition Réussite... puis Zone Violence, vivaient des situations difficiles et parfois insupportables.

Insupportables, c'est-à-dire des situations qu'ils ne savaient ou ne pouvaient plus gérer professionnellement et parfois personnellement.

Insupportable, c'est-à-dire aussi que leur fonction ne trouvait plus aucun support.

Particulièrement pour toutes les situations d'indiscipline ou de violence à l'école, certains enseignants parfois exaspérés interpellaient les parents et désignaient explicitement ou implicitement leur responsabilité.

Les effets étaient ravageurs !

Bien sûr le quartier est « violent » !

Le directeur avant d’être « déchargé » de classe exerçait à mi-temps en CP.

En quelques années il dénombrait 4 morts violentes chez ses anciens élèves devenus jeunes adultes.

« Zone Violence », zone de toutes les violences, celles faites aussi par l’École aux parents et aux enfants.

Ce dispositif a fonctionné comme un espace, un lieu et un temps pour penser et

passer d'un « je n'en peux plus, je ne le supporte plus, je ne sais plus quoi faire » à « voyons ce qu'on pourrait faire ensemble ».

Alors nous trouvions le plus souvent des solutions, quelquefois les bonnes, le plus souvent les moins mauvaises, mais les situations devenaient supportables, pour les enseignants, l'enfant et les familles.

...

Hors du tumulte, de l'urgence de dire ou faire, chacun disposait de ce temps pour parler de toutes les situations qu'il souhaitait soumettre au travail collectif.

Ces rencontres avaient parfois un réel effet cathartique, une fonction de défouloir reconnue et acceptée dès lors qu'elle constituait une sorte de préambule ou préliminaire au travail d'élaboration.

Bien sûr chacun a une capacité personnelle et singulière pour gérer les situations complexes, mais chacun a vécu ces situations où se poser pour une réflexion collective construit l'entraide et où l'entraide libère et conforte des espaces de pensée.

...

Ce travail avec les enseignants fut loin d’être simple, il nous prit du temps, beaucoup de temps : convaincre une cinquantaine d'enseignants d'adopter un fonctionnement collectif avec les mêmes outils, les mêmes procédures, ne fait pas partie de la culture de  l'entreprise Éducation Nationale  et aucune autorité ne peut vraiment imposer un type de fonctionnement collectif aux enseignants, excepté, peut-être et parfois, certains dispositifs réglementaires.

Convaincre c'était bien sûr et tout d'abord associer les enseignants à ce travail du groupe des directeurs.

...

Il est remarquable de constater que plus l'école accueillait des situations complexes, plus les enseignants étaient accessibles à une réflexion et une organisation collective : nécessité fait loi !

Plus les situations sont complexes plus il est difficile d’être « seul maître à bord ».

...

À quoi ça sert un psychologue scolaire, psychologue à l’École, psychologue dans l’École, psychologue de l’École, psychologue pour l’École... ?

J'avais très rapidement compris que la représentation, réelle et imaginaire, du psychologue scolaire était celle d'un enseignant qui n'enseignait plus, qui pensait et disait beaucoup de ce qu'il faudrait ou aurait fallu faire, mais qui ne faisait pas grand chose.

Il recevait parfois quelques enfants, quelques parents, participait à beaucoup de

réunions...

Bref, comment répondre à toutes ces situations complexes qu'on évaluait comme nécessitant un dispositif complémentaire aux dispositifs pédagogiques.

La mise en place de Groupes d'Enfants ouverts s'imposa rapidement compte tenu du nombre de ces situations.

Fin de l’extrait 2

L’invention fut un travail collectif.

«  Il est surtout remarquable que les succès les plus probants de la lutte pour réduire l’ampleur et l’intensité des violences scolaires passent par certaines mises en œuvre collectives. De nombreux travaux de chercheurs américains le montrent sans appel, en particulier ceux de l’équipe de Denise Gottfredson, qui ont établi l’importance décisive de la stabilité de l’équipe enseignante ou de la clarté et de la justice dans l’application des règles. »

https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/241018/violences-lecole-des-republicains-dancien-regime

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=58908&motExact=0&motcle=&mode=AND

AUTEUR

Michel Cazeneuve est docteur en psychologie, psychologue et enseignant de formation. Il a exercé différentes fonctions dans l'Éducation Nationale et a dirigé des institutions sociales et médico-sociales où il intervient désormais comme consultant et formateur.

TABLE DES MATIERES

CHAPITRE I : Découverte

CHAPITRE II : Quel chemin ?

CHAPITRE III : Le dispositif

CHAPITRE IV : Les Groupes d’Enfants et les Rencontres Familles

CHAPITRE V : Les effets de groupe

CHAPITRE VI : Galerie et galères

CHAPITRE VII : Enfance et enfants en danger (s) ?

CHAPITRE VIII : Les gitans

CHAPITRE IX : Intermède – Le parc des enfants

CHAPITRE X : Les petits sauvageons… et les autres

CHAPITRE XI : La reproduction sociale et ses ratés

CHAPITRE XII : Le mépris de classe et la colonisation des familles

CHAPITRE XIII : La médicalisation de l’échec et de la pauvreté

CHAPITRE XIV : L’école des pauvres et la « réussite pour tous »

CHAPITRE XV : Rêves d’école

CHAPITRE XVI : Galerie et galères 10 ans plus tard

BIBLIOGRAPHIE GLOSSAIRE ANNEXES

EXTRAIT

« Il y a le quartier, le chômage, les trafics, la prostitution, les intégristes, la famille au bled, les papiers, les dettes, le racisme, l’exclusion, les descentes de police, l’hélicoptère et son projecteur qui empêche les enfants de dormir, les maris, les pères violents ou partis, les pères ou frères morts, en prison, les mères seules… il y a aussi bien sûr les rencontres d’entraide, les espoirs, les rêves, les projets, mais pour tous, le rêve, c’est de partir, de quitter ce quartier. Je ne pouvais ni faire réapparaître un père mort ni fournir un ailleurs ou un travail aux vivants. Alors il faut écouter, on verra bien après » Extrait p. 43.

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