Le paragraphe en question démarre par une contre-vérité flagrante qui montre que le journaliste-sic Gabetta n'a même pas pris la peine de se documenter sérieusement sur cette affaire: "...Alberto Nisman, retrouvé mort, une balle dans la nuque". Or même les partisans les plus acharnés de la thèse d'un assassinat ne contestent pas que la balle mortelle a été tirée dans la tempe, deux centimètres au-dessus de l'oreille, ce qui est compatible avec l'hypothèse plus raisonnable d'un suicide (tous les éléments matériels et chronologiques disponibles: disposition du corps dans la salle de bain, données de vidéosurveillance, traces de consultation de divers sites via Internet vont d'ailleurs dans ce sens, même si une certitude à 100% est évidemment impossible à atteindre.)
C. Gabetta reproduit sans la moindre distance critique l'allégation de Nisman selon laquelle "Madame Kirchner et son ministre Hector Timerman avaient tenté de faire obstruction aux mandats d'arrêts internationaux lancés par Interpol à l'encontre de cinq fonctionnaires iraniens". Là encore, si C. Gabetta s'était informé un minimum, il aurait découvert que cette allégation mensongère avait été démentie par le Directeur d'Interpol lui-même (ce n'est d'ailleurs pas Interpol qui avait lancé ces mandats d'arrêt mais bien le gouvernement argentin) confirmant que le gouvernement argentin n'avait jamais annulé ces cinq mandats d'arrêt, à la fureur de certains Iraniens.
Toujours sans la moindre distance critique, Gabetta reprend un autre élément de la théorie complotiste de Nisman selon laquelle était en négociation un accord commercial troquant du blé argentin contre du pétrole iranien. Le seul élément de preuve avancé à ce sujet (et non mentionné par C. Gabetta) est une conversation interceptée de l'activiste Luis d'Elia, qui s'était auto-proclamé intermédiaire officieux soi-disant mandaté par la Présidence, avec un de ses interlocuteurs iraniens auquel il faisait miroiter un tel accord, sans doute pour en tirer un profit personnel. On peut critiquer le fait que d'Elia ait pu avec quelque vraisemblance se présenter ainsi, du fait de la complaisance du gouvernement kirchnériste à son égard, mais aucun projet de ce type n'a pu exister ailleurs que dans l'imagination fertile dudit d'Élia pour la bonne et simple raison technique que les raffineries argentines ne peuvent pas traiter le pétrole iranien qui contient trop de soufre.
Dernier point évoqué par Gabetta: "l'accord secret pour qu'une "commission vérité" montée de toute pièce blanchisse Téhéran" est un autre élément du dossier bâti par Nisman qui ne résiste pas à l'examen sérieux du déroulement des faits. La démarche, peut-être politiquement naïve mais en aucun cas criminelle, adoptée par Timerman, était de sortir de l'impasse du refus d'extradition des présumés coupables (mais beaucoup de pays n'extradent pas leurs nationaux, et pas seulement l'Iran) en montant un tribunal international dont les membres auraient été choisis à parité par les deux parties afin d'examiner les éléments de preuve à l'encontre des Iraniens mis en cause. Timerman (comme l'a raconté dans Pagina/12 J. Elbaum ancien membre du directoire de la DAIA, équivalent argentin du CRIF) avait d'ailleurs tenu les dirigeants de la communauté juive informés de cette démarche et avait au départ recueilli leur assentiment. Ceux-ci se sont ensuite ravisés au moment ou le journaliste Pepe Eliaschev (décédé depuis) avait ébruité l'affaire et commencé à crier au complot.
Last but not least, ce qu'oublie soigneusement de préciser C. Gabetta c'est que des preuves matérielles existent (sous forme de virements bancaires vers des comptes non déclarés détenus par Nisman à l'étranger) que le procureur Nisman était en fait partie prenante d'une manoeuvre de destabilisation organisée par les fonds-vautours américains à l'encontre du gouvernement Kirchner, manoeuvre qui a d'ailleurs pleinement réussi puisque le nouveau gouvernement Macri va payer 12,5 milliards de dollars aux fonds-vautours qui rémunéraient Nisman. À ce compte-là, les quelques centaines de milliers de dollars versés à Nisman ont été un investissement très rentable pour Singer et compagnie.
Billet de blog 4 avril 2016
Désinformation sur l'affaire Nisman: le Monde Diplo s'y met aussi
J'ai découvert la semaine dernière avec stupéfaction l'article de C. Gabetta dans le Monde Diplomatique d'avril: "En Argentine, les régimes passent, la corruption reste". Toute la partie concernant l'affaire Nisman est un tissu de contre-vérités et de reprise acritique des thèses complotistes les plus délirantes propagées depuis un an et demi par les ennemis politiques de Cristina Fernandez.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.