Cette semaine est mort subitement Julio Grondona, le parrain qui régnait depuis plus de trente ans sur le football argentin. Il a reçu une pluie d'hommages convenus, néanmoins modulés par le rappel de son autoritarisme, de ses multiples magouilles (népotisme, trafic de joueurs, laxisme envers le houliganisme chronique avec ramifications politiques qui endeuille périodiquement le football argentin...) et de son opportunisme politique réellement « tout terrain » (de la dictature au kirchnerisme, Don Julio aura mené sans encombre sa barque personnelle sous tous les régimes et tous gouvernements). J'ai particulièrement apprécié le bref message tout en sobriété factuelle (une fois n'est pas coutume...) diffusé par Maradona (avec qui le défunt avait échangé tout récemment quelques noms d'oiseaux pendant la coupe du monde) : « Julio Grondona (1932-2014) président de l'Association Argentine de Football». À y réfléchir un peu, le cynisme tranquille de Grondona a beaucoup à voir avec le style de gestion du pouvoir déployé par le péronisme (qui n'a cependant fait que donner une coloration populiste à des pratiques qui lui pré-existaient: sans même remonter à Rosas, Lavalle voire Pueyrredon, ni Roca, ni Yrigoyen pour ne citer qu'eux, n'ont jamais été des parangons de vertu civique, chose que la bourgeoisie « gorila » d'aujourd'hui oublie trop facilement tant est grande son obsession anti-péroniste.) Grondona pratiqua donc avec succès l'absence totale de principes, ainsi qu'une conception « verticaliste », discrétionnaire et féodale de la relation entre le caudillo et ses subordonnés, et ses méthodes de fidélisation et de contrôie par le pouvoir fédéral de gouverneurs de province eux mêmes prisonniers d'une relation clientéliste à leur électorat (dans le monde du football, les gouverneurs sont les présidents des grands clubs) étaient très similaires à celles qu'ont employées Peron, Menem, Duhalde ou les Kirchner: en Argentine, la dépendance des régions nécessiteuses envers les subsides du pouvoir central était et demeure un levier essentiel du pouvoir présidentiel, et pour pouvoir aussi longtemps diriger l'AFA en étouffant aisément toute contestation de son pouvoir absolu, Grondona s'était assuré que les clubs restassent toujours trop pauvres pour s'émanciper de son autorité et ne pussent se passer des subsides que leur valait leur allégeance au patron (sans oublier que la nécessité récurrente pour eux de vendre des joueurs afin de réduire leurs dettes y ajoutait l'opportunité collatérale de juteux négoces pour le réseau d'intermédiaires grondonistes qui avait progressivement noyauté tout le système). Aujourd'hui, la succession de Grondona fait rêver presque autant de politiciens du football que la succession de Cristina Fernandez de Kirchner (CFK) ne suscite déjà de vocations pour la présidentielle de fin 2015 ! Dans un pays dont la capitale compte une bonne douzaine de clubs de première division dont trois ou quatre de tout premier plan à l'échelon continental (alors qu'à taille égale, l'agglomération parisienne n'en comporte qu'un seul) le poste de président de l'AFA est un lieu d'exposition médiatique et de pouvoir socio-économique considérable. Cela dit, les dirigeants du football argentin fraîchement libérés de l'emprise de Don Julio n'ont pas du tout envie de retomber pour toute la durée d'une génération sous la coupe d'un Grondona-bis et il est donc fortement question de limiter la possibilité de renouveler le mandat de président de l'AFA. Ici encore, la politique pourra servir de modèle au football: les tentatives de Menem puis de CFK d'envisager la « re-re » (c'est-à-dre la ré-élection pour un troisième mandat consécutif) en modifiant la constitution ont très vite tourné court...
Billet de blog 4 août 2014
Grondonisme et péronisme
Cette semaine est mort subitement Julio Grondona, le parrain qui régnait depuis plus de trente ans sur le football argentin. Il a reçu une pluie d'hommages convenus, néanmoins modulés par le rappel de son autoritarisme, de ses multiples magouilles
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.