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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 5 novembre 2025

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L'Argentine de Milei: bilan et perspectives

Quelques réflexions sur la situation économique et politique de l'Argentine

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Avec un gros coup de pouce de Trump et l'assistance d'une opposition mi-apathique mi-pathétique, Milei a remporté l'élection de mi-mandat et envisage maintenant d'approfondir son offensive libertarienne.

Pour que les choses soient claires, plutôt que de discuter longuement à l'Assemblée et au Sénat, Milei a chargé une brochette de dirigeants de multinationales (dont Marcos Galperin de Mercado Libre et Paolo Rocca de Tenaris) de définir les contours de sa prochaine réforme du droit du travail en vue de "flexibiliser et fluidifier le marché du travail" selon l'expression consacrée chez les néo-libéraux.

Le résultat est sans surprise; parmi les propositions les plus marquantes on trouve;

- le retour à la journée de travail maximal de 12 heures ;

- l'abolition des conventions collectives de branche, remplacées par des accords d'entreprise ;

- une réduction drastique des indemnités de licenciement.

- la fin du financement des syndicats par prélèvement sur la feuille de paie, que le salarié soit syndiqué ou non;

Le gouvernement Macri avait déjà tenté de faire passer une réforme de ce genre il y a 8 ans, avant de reculer face à la mobilisation des syndicats.

Mais entre temps, le rapport de force a évolué défavorablement pour les salariés:

- la désindustrialisation et la précarisation ont augmenté ce qui a renforcé l'individualisme et réduit le sentiment d'appartenance à un collectif de travail, en particulier dans les jeunes générations;

- le poids du travail au noir ou au gris, en particulier dans la construction ou dans les services à la personne, n'a fait que croître sans que les gouvernements qui se sont succédés n'aient sérieusement cherché à y remédier;

- l'incapacité des syndicats péronistes aux dirigeants majoritairement corporatistes, vieillissants et corrompus à défendre les intérêts de l'ensemble des travailleurs est devenue patente, comme le montre l'inertie persistante de la CGT face aux attaques du miléisme (on peut néanmoins penser que l'attaque frontale qui se prépare contre leurs ressources financières va les faire sortir de leur léthargie...)

Le cabinet ministériel qui vient d'être remanié sera chargé de mettre en musique ces propositions et le fait qu'il comporte sept anciens cadres du mastodonte financier JP Morgan est un gage certain d'efficacité au service du grand patronat et du capitalisme financier.

Le programme que Milei a esquissé pour sa deuxième partie de mandat prévoit de réduire les impôts tout en maintenant un superavit fiscal garantissant le paiement de la dette.

Le résultat en sera nécessairement un approfondissement de la dynamique récessive: moins d'impôts signifiera moins de services publics et moins d'investissement, donc moins de revenus salariaux, moins de consommation, moins de rentrées fiscales... et au bout du compte un nouveau tour de vis au détriment des travailleurs.

Après la victoire de Milei, la fuite des capitaux n'a pas ralenti, et ni la remontée des cours du soja ni les revenus des secteurs des mines et de l'énergie ne suffiront à boucher les trous: la pénurie chronique de dollars ne fera que s'accentuer, car Trump ne va pas subventionner Milei indéfiniment.

Face a ce sombre tableau, l'opposition pérono-kirchnériste reste minée par ses divisions et par son incapacité à formuler des propositions mobilisatrices (je leur suggérerais volontiers de commencer par évoquer le rétablissement de l'impôt sur l'héritage supprimé en 1976 par Martinez de Hoz, le ministre de l'économie de la dictature.)

Lors de la récente campagne, les pérono-kirchnéristes se sont contentés de dénoncer le miléisme en croyant que cela suffirait à leur faire gagner la partie.

Leur perte de contact avec la réalité de l'évolution de la société est telle qu'ils ont tenté de mobiliser leurs militants en ressortant de la naphtaline le vieux slogan péroniste de 1945 "ou Braden ou Peron" actualisé en "ou Bessent ou Peron".

Les quelques pas de danse de Cristina Fernandez de Kirchner sur son balcon le soir de la défaite de son parti ont été mal perçus et ses récentes attaques contre Kicillof ne vont pas aider à réunifier son camp.

La triste réalité est qu'elle fait partie de ces politiciens septuagénaires égo-centrés qui ne réalisent pas qu'ils appartiennent au passé et ne se décident pas à passer la main (comme Royal ou Mélenchon chez nous.)

Pourtant, Miriam Bregman, la charismatique figure de proue du trotskisme portègne, dont on peut comparer l'énergie et le sens de la repartie dans les débats télévisés à ceux dont faisait preuve chez nous un Besancenot, a montré avec ses camarades qu'une campagne de terrain bien menée pouvait obtenir des résultats inespérés.

Illustration 1
Miriam Bregman

Même si les sondages le prévoyaient, le remarquable score de plus de 9% qu'elle a obtenu dans une capitale qui est un inexpugnable bastion de la Droite depuis des décennies, et cela sans mordre sur l'électorat péroniste (dont les candidats sont restés à leur étiage habituel de 25 à 30%) montre qu'il y a des marges de mobilisation à exploiter pour le camp progressiste.

Un péronisme rénové proposant un plan de développement rompant avec le monétarisme libertarien pour renouer avec une vision keynésienne (Kicillof a fait sa thèse de doctorat sur Keynes) pourrait gagner l'élection de 2027 mais il lui reste bien du chemin à faire, et il restera handicapé par ses propres dinosaures politico-syndicaux et par ses caudillos provinciaux magouilleurs et paresseux.

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