Le système électoral du "first by the post" amplifie énormément la victoire en sièges par rapport à la victoire en voix, même si, de Brexit en "Partygate" et "Bettingate" en passant par l'éphémère ministère de Liz Truss (qui a d'ailleurs perdu son siège) les Conservateurs ont eu 14 longues années pour démontrer l'étendue de leur incompétence et de leur corruption.
Les Travaillistes ont remporté une majorité massive de 411 sièges avec seulement 34% des voix, alors que les Conservateurs sortants sont réduits à 121 sièges avec près de 24% des voix, victimes de la division de la Droite créée par le Reform Party de Nigel Farage, un des principaux démagogues du Brexit, qui les concurrençait fortement cette année sur leur Droite.
Avec plus de 14% des voix mais seulement 5 sièges, Farage effectue une véritable percée et n'a pas manqué de réclamer une réforme du mode de scrutin: c'est un serpent de mer qui revient à chaque élection en Angleterre comme chez nous.
Avec seulement un peu plus de 12% des voix, les LibDem obtiennent 71 sièges grâce à la concentration de leurs votes et surtout au vote tactique sur le mot d'ordre "Virons les Tories": dans la circonscription de North Norfolk où vit ma sœur, les Conservateurs ont perdu au profit d'un LibDem le siège qu'ils avaient gagné aux élections précédentes grâce au départ en retraite du précédent député LibDem. Dans cette circonscription le Labour ne fait que 6% des voix, signe que ses électeurs ont préféré voter LibDem pour s'assurer d'éjecter la Droite (toute ressemblance avec les enjeux du second tour en France ne serait que pure coïncidence...) Un autre facteur qui a favorisé les candidats LibDem dans le sud de l'Angleterre et permis l'élection de 4 députés Verts est le scandale de la pollution des rivières. Les compagnies privées de gestion de l'eau ont continué de verser de copieux dividendes à leurs actionnaires et de gros salaires à leurs directeurs tout en cessant d'entretenir correctement les stations de traitement des eaux usées et des dizaines de rivières ont été polluées par des rejets d'égoûts. Comme dans le cas du transport ferroviaire, cela se terminera probablement par une renationalisation (on en parle déjà pour Thames Water, endettée à hauteur de 15 milliards de livres).
Le rapport de force n'est donc pas si défavorable à la Droite populiste (dont une fraction importante s'est radicalisée en votant pour Farage et ses candidats) puisque le total Droite fait 38% contre seulement 34% pour les travaillistes, qui s'étaient eux mêmes fortement recentrés sous l'impulsion de Starmer: l'expulsion de Corbyn et de centaines de militants jugés trop radicaux et surtout trop pro-palestiniens. La chasse aux sorcières organisée par la direction du Parti, sous la pression d'un lobby pro-israélien assimilant bruyamment toute critique virulente de la politique de colonisation d'Israël à de l'antisémitisme, n'a rien de bien surprenant si l'on en juge par le procès similaire fait ici à LFI. L'accusation d'antisémitisme portée contre certains militants radicaux était d'ailleurs justifiée dans certains cas mais pas pour la majorité des "purgés", et si l'on ajoute à cette droitisation géopolitique l'adoption d'un discours néo-blairiste très pro-business, de nombreuses circonscriptions normalement acquises aux Conservateurs ont été remportées par le Labour.
En instrumentalisant les massacres commis par l'armée israélienne à Gaza, Corbyn et quelques uns de ses camarades devenus des candidats indépendants ont cependant battus le Labour dans des circonscriptions où l'électorat musulman.était prédominant.
En 2019, Corbyn avait obtenu 10 262 000 votes, soit davantage que les 9 725 000 votes obtenus par Starmer cette semaine (mais Corbyn avait obtenu seulement 32% des voix, car la participation était alors nettement supérieure, à plus de 67%, alors qu'elle a baissé à 60% cette année), mais le Labour avait été balayé par les Tories et le fameux "Red Wall" des circonscriptions populaires du nord de l'Angleterre s'était alors effondré sous les coups de la démagogie de Boris Johnson. Une démagogie chassant l'autre, c'est maintenant Farage qui a repris le flambeau. Comme le montre l'exemple de Bishop Auckland donné par The Guardian, le total Droite reste majoritaire et seule la division des votes entres Conservateurs (26% et Reform (23%) y explique la victoire des Travaillistes avec seulement 42% des voix. Le "Red Wall" est donc loin d'être reconstruit.
L'affaiblissement du SNP en Ecosse (suite aux affaires impliquant Sturgeon et ses proches) a permis au Labour d'y reprendre pied et il s'est également renforcé au Pays de Galles (le président du parti autonomiste gallois Plaid Cymru a récemment dû démissionner en raison d'une affaire de mœurs).
Dernier point notable: le Sinn Fein est devenu avec 7 sièges le premier parti en Irlande du Nord.