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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 7 mars 2014

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Remarques sur la tectonique des langues

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Le fil des commentaires de l'article d'Antoine Perraud étant massivement pollué par les habituels échanges de noms d'oiseaux entre Russophiles et Occidentalistes (j'emploie évidemment cette terminologie ancienne dans un sens nouveau et très figuré mais chacun se reconnaîtra) je préfère m'exprimer dans mon petit espace personnel.

Il me semble que l'article de Perraud, qui se concentre exclusivement sur la relation entre le russe et l'ukrainien, gagnerait à élargir sa perspective à l'ensemble de l'environnement linguistique, car les deux langues ont l'une et l'autre emprunté quantité de mots (tantôt les mêmes et tantôt différents) aussi bien à l'allemand qu'au turc, au farsi etc.: on aurait ainsi une vision plus complète de ce qu'il appelle la tectonique des langues et cela permettrait aussi de prendre un peu plus de recul par rapport à la tentation trop fréquente de fétichiser le rapport à la langue (et à sa supposée "pureté") dans la définition de l'identité nationale: la "rada" c'est de l'allemand (Rat), "maïdan" c'est du farsi... et l'on pourrait multiplier les exemples provenant y compris de l'actualité la plus brûlante.

Mon opinion est qu'au delà d'être une richesse culturelle (et même un avantage cognitif très concret: des études récentes menées au Canada ont prouvé que les bilingues étaient moins fréquemment et plus tardivement atteints par la maladie d'Alzheimer et les autres maladies dégénératives du système nerveux central) le multilinguisme peut sous certaines conditions devenir un élément constitutif essentiel de l'identité d'une nation: sans le Québec et le bilinguisme formel qu'il impose à Ottawa (la seule ville anglophone du Canada où le français ait droit de cité, capitale fédérale oblige) le Canada aurait plus de mal à se penser comme différent des USA, et il me semble que la même diversification identitaire pourrait fonctionner en Ukraine.

Je n'y suis pas allé depuis plus de dix ans, donc je me garderais bien de projeter dogmatiquement mes observations déjà anciennes sur la situation actuelle, mais j'avais eu l'impression à Kiev que la plupart des gens passaient avec plus ou moins d'agilité d'une langue à l'autre (et mélangent allègrement les deux d'une phrase à l'autre voire dans la même phrase) et qu'il n'y a que deux petits groupes qui jouent les pousse-au-crime du monolinguisme:

- une minorité de russophones qui considèrent (sans le dire trop fort!) que l'ukrainien n'est qu'un dialecte de péquenaud et qui se refusent à l'apprendre sérieusement ; j'ai observé le même phénomène il y a sept-huit ans en Géorgie où j'ai pu rencontrer dans le domaine où je travaillais à l'époque des experts techniques d'origine russe qui étaient nés en Géorgie mais n'avaient jamais voulu apprendre le géorgien (avec pour eux l'excuse de la distance entre les langues qui n'existe pas au même degré entre russe et ukrainien) ce qui exaspérait leurs collègues "géorgiens de souche" (pour employer une terminologie que je ne goûte guère).

- une minorité d'ukrainophones "idéologiques" qui considèrent le russe comme un héritage du système soviétique et qui préfèrent affecter de l'ignorer ou plus exactement se refusent autant que possible à l'employer tout en le comprenant très bien (j'ai également observé le même phénomène en Géorgie: au cours des réunions que j'avais avec eux et qui comportaient parfois des apartés animés entre experts locaux, certains Géorgiens prenaient prétexte de ma présence pour ne s'exprimer qu'en anglais, qu'ils ne parlaient pas toujours très aisément, pendant que d'autres de leurs collègues discutaient volontiers en russe...)

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