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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 8 mai 2017

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Le 2x1 argentin

Quelques réflexions sur le thème du «Dos por uno».

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Le dernier scandale juridico-politique en Argentine est la décision de la Cour Suprême (où siège désormais une majorité de droite réactionnaire) d'accorder aux militaires assassins de la dictature le bénéfice d'une ancienne loi (pourtant abrogée) permettant de raccourcir leurs peines de prison en comptant double les années passées en prison préventive (avant le jugement définitif).

Vu les lenteurs calculées de la justice argentine, cela permettrait à de dangereux criminels comme Alfredo Astiz (reconnu coupable de participation à l'assassinat des religieuses françaises A. Domont et L. Duquet) de retrouver rapidement la liberté, ce qui a suscité les protestations des organisations de défense des droits de l'homme. En revanche, les hérauts de la droite sécuritaire qui demandaient récemment de ne plus accorder de libération anticipée aux criminels dangereux ne semblent pas s'émouvoir du laxisme de la Cour Suprême...

Et comme toujours lorsqu'il s'agit de protéger les tortionnaires et assassins nazis-fascistes des rigueurs de la justice séculière, l'église catholique argentine a hypocritement contribué à faciliter cette décision par le récent appel des évêques à la réconciliation entre les tortionnaires et leurs victimes (l'affaire Touvier, ça vous rappelle quelque chose?)

Pour être exhaustif, il faut signaler que l'acceptation tacite de ce laxisme par une large proportion de la société argentine trouve sa source dans le caractère asymétrique du traitement dont le terrorisme d'Etat et le terrorisme péroniste dit "de gauche" ont fait l'objet. Un certain nombre de militaires et policiers criminels ont été poursuivis et condamnés après l'abrogation de la loi dite d'obéissance due (obediencia debida) mais les chefs du terrorisme montonero ont continué de bénéficier de la loi d'amnistie. Si les principaux dirigeants montoneros (Galimberti, Bullrich, Firmenich, Vaca Narvaja et quelques autres) avaient été jugés et condamnés en temps utile  à proportion de leurs crimes (car Firmenich et Vaca Narvaja eussent mérité une condamnation plus lourde que Galimberti et Bullrich) le sentiment en partie erroné (car, tant qualitativement que quantitativement, on ne peut pas mettre sur un pied d'égalité le terrorisme d'Etat et le terrorisme "privé") d'un "deux poids deux mesures" dans le traitement des crimes des années 70 ne serait pas aussi répandu.

La scandaleuse décision prise par Lorenzetti (par ailleurs mis en cause par E. Carrio pour enrichissement illicite...) et ses peu honorables confrères et consoeur (il semble que les tractations en cours concernant le renouvellement du mandat de Elena Highton de Nolasco, 75 ans, aient été un ingrédient de la manoeuvre) a été immédiatement affublée du surnom de 2 x 1 (lire "Dos por uno").

Pour saisir certaines connotations de ce surnom, il faut savoir que le "2 x 1" est omniprésent dans la culture consumériste argentine d'aujourd'hui. La semaine dernière, par exemple, une grande affiche promouvait le "2 x 1" dans la vitrine d'un marchand de glace de l'avenue Santa Fe qui proposait ainsi deux kilos de glace pour le prix d'un. C'est une variante promotionnelle du "De me dos" ("donnez m'en deux") autre expression hispanique typique (je me souviens l'avoir entendue il y a déjà longtemps dans le film espagnol de Bigas Luna "Huevos de oro" dont le héros promoteur immobilier arborait une même grosse montre de nouveau riche à chaque poignet...)

Sur cette base, il y a évidemment une connexion à établir entre le "2 X 1" de la Cour Suprême et le "De me dos" de ces couches moyennes incultes et oublieuses de l'histoire, mais avides de "modernité", qui ont amené Macri au pouvoir il y a dix-huit mois... et qui forment le gros de l'électorat de Macron chez nous.

Ces nouvelles classes moyennes montantes que Georges Pérec décrivait en 1965 dans "Les Choses" auraient besoin de lire son livre et surtout de relire son paragraphe final en forme d'avertissement contre le consumérisme alors naissant: "Le voyage sera longtemps agréable... Mais le repas qu'on leur servira sera franchement insipide."

Et de méditer la citation finale de Karl Marx qui clôt le roman de Pérec: "Le moyen fait partie de la vérité aussi bien que le résultat. Il faut que la recherche de la vérité soit elle-même vraie: la recherche vraie, c'est la vérité déployée dont les membres épars se réunissent dans le résultat."

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