Malgré des incidents sporadiques près de quelques points chauds particulièrement stratégiques (aéroport de Doniestk, route de Marioupol) le cessez-le-feu en Ukraine semble tenir, ce qui relève du miracle, tant les forces en présence sont fragmentées, disparates et sans commandement stratégique unifié.
Du côté des insurgés, les journalistes occidentaux présents sur le terrain ont estimé qu'il existe de 150 à 200 groupes faiblement coordonnés entre eux car ne relevant chacun que d'un petit chef local; du côté ukrainien, la situation est assez similaire, et les bataillons de volontaires ultra-nationalistes fonctionnent davantage comme des corps francs auto-gérés que comme des unités d'une armée organisée.
L'intervention de quelques milliers de volontaires nationalistes grand-russes et de "chiens de guerre" tchétchènes ou autres, et d'un millier de soldats russes réguliers en soutien aux séparatistes ukrainiens russophones aura finalement fait comprendre à Porochenko que son rêve d'écraser définitivement les insurgés à l'est ne se réaliserait pas, car l'OTAN s'est bien gardée d'aller au-delà des paroles verbales et de lui accorder le soutien militaire direct qu'il espérait naïvement.
On peut se réjouir sans réserve de l'abaissement de la tension sans pour autant nourrir d'illusions sur l'avenir de l'Ukraine: dans l'état actuel du pays, la cote de Porochenko va dégringoler aussi vite que celle de Normal 1er, et il ne parviendra probablement pas à obtenir une majorité à sa main aux législatives de l'automne: les ultra-nationalistes l'accusent déjà de trahison, les modérés commencent à lui demander des comptes pour tout le sang versé à l'Est, les oligarques qui l'ont mis en place le lâcheront sans états d'âme s'ils trouvent un autre poulain garantissant les "droits acquis" de l'oligarchie...
Trois scénarios sont envisageables:
1°) l'ouverture de véritables négociations politiques entre Kiev les pseudo-républiques de l'Est pour leur accorder un statut d'autonomie dans un cadre fédéral ukrainien sur la base des territoires que les insurgés contrôlent actuellement auxquels s'ajouteraient quelques zones historiquement à majorité autonomiste et qui ont été soumises militairement par Kiev. C'est la solution d'apaisement la plus désirable mais malheureusement pas la plus probable, à mon avis ;
2°) la reprise temporaire des combats sous un prétexte quelconque (rupture du cessez-le-feu) me semble malheureusement assez probable et dans ce cas ce qui reste de l'armée ukrainienne s'effondrerait très vite, l'appui même limité de la Russie permettant aux insurgés de (re)gagner encore du terrain (des objectifs à portée des indépendantistes seraient de reprendre Slaviansk, de faire tomber Marioupol puis de pousser leur avantage en direction de Kharkov).
3°) la consolidation progressive d'une "mini-Novorossia" en une administration de fait à coloration mafieuse, comme l'Abkhazie ou la Transnistrie, reconnue seulement par la Russie et ses alliés me semble hélas l'hypothèse la plus probable.