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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 11 mai 2014

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Russie, Ukraine: stratégies et tactiques

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Les événements de la semaine qui vient de s'écouler m'ont conforté dans mon analyse précédente des stratégies qui s'affrontent aujourd'hui en Ukraine et qu'il convient de garder bien présentes à l'esprit.

La stratégie de Timochenko et de ses principaux alliés-concurrents est bien résumée dans l'interview qu'a donnée Georges Soros à la New York Review of Books de fin avril: une intégration rapide de l'Ukraine au bloc occidental sous l'égide du FMI (Soros, qu'on a connu moins auto-intoxiqué par la propagande, y décrit au passage Poutine comme complètement dépassé par la situation ukrainienne ce qui me semble un peu beaucoup du "wishful thinking").

Comme je l'ai déjà expliqué, et contrairement à ce que la propagande de nos médias essaie parfois de nous faire croire, la préférence de Poutine et des autres dirigeants russes ne va pas à une absorption pure et simple de l'Ukraine par la Russie (s'ils le voulaient vraiment, l'armée russe serait à Kiev en deux jours, et à Lvov en moins d'une semaine, mais à un coût diplomatique que les Russes jugent à raison bien trop élevé par rapport à ce que vaut réellement l'Ukraine.)

L'objectif stratégique de Poutine est triple: consolidation du statut spécifique de la Crimée, neutralisation militaire de l'Ukraine, maintien de forts liens économiques et culturels avec l'Est de l'Ukraine. D'autre part, sa récente invitation à différer le référendum voulu par les "rattachistes" (que les médias occidentaux présentent triomphalement comme un recul causé par les menaces de sanctions) me semble relever de ce que j'appelais sa stratégie d'hégémonie, montrant son souci de ne pas risquer de cliver prématurément le bloc rattachiste-autonomiste: à mon avis les Russes préfèrent laisser mûrir la situation et pensent que le brutal déploiement militaire mené par Kiev à l'encontre de ses opposants va suffire à renforcer une "demande de Russie" et à continuer de transformer les autonomistes en rattachistes.

Les gestes faits par Poutine (appel à différer le référendum, bons offices pour la libération des représentants de l'OTAN) n'avaient pas, à mon humble avis, pour but premier d'apaiser les Occidentaux mais de préparer le coup suivant: sa participation aux cérémonies patriotiques du 9 mai en Crimée. Il s'agit typiquement d'opérations soigneusement planifiées de communication ayant une double vertu stratégique et tactique de consolidation de la position: il est bien connu que dans les jeux stratégiques comme les échecs ou comme Diplomacy, avoir remporté une première victoire peut être dangereux: la capture d'une pièce (ici la Crimée) peut destabiliser temporairement la position de l'attaquant et l'exposer à de dangereuses contre-attaques (et gageons que si la Russie ne parvient pas à neutraliser le reste de l'Ukraine, de savants stratèges viendront nous expliquer a posteriori que la prise de la Crimée aura finalement été l'équivalent de la capture du pion empoisonné dans la variante Najdorf de la sicilienne...)

L'autre raison pour laquelle Poutine préférerait tout compte fait que l'Est s'apaise, est que la présidentielle du 25 mai lui désignera de toute façon un interlocuteur avec qui il sera obligé d'accepter de traiter. Déjà que la Crimée n'y participera pas, alors que le candidat du Kremlin, quel qu'il soit, y serait assuré d'un  score "à la soviétique" (c'est le cas de le dire...), si les places fortes rattachistes et autonomistes de l'Est ukrainien se trouvent de facto exclues de la consultation, Moscou aura davantage de mal à peser sur le choix du président (le "Qui t'a fait roi?" devenant d'autant moins pertinent.)

Et c'est aussi à mon avis la principale raison pour laquelle l'actuel pouvoir de fait à Kiev intensifie ses actions militaires à l'Est: du point de vue de l'alliance entre "ultras" et "libéraux" au pouvoir à Kiev, l'impossibilité matérielle que les élections présidentielles puissent se tenir à l'Est n'est pas forcément une mauvaise chose: s'étant assuré le soutien inconditionnel des Occidentaux moyennant de salivantes "business opportunities" (Soros dixit) le gouvernement de Kiev est beaucoup moins préoccupé qu'on ne le dit chez nous par la construction d'une nouvelle légitimité démocratique...

Comme c'est l'oligarque Porochenko (ni plus ni moins corrompu que tous les autres) qui tient la corde, je présume que Poutine s'apprête, comme il l'a déjà fait dans le passé, à gérer la situation pragmatiquement en annexant quelques bouts de provinces ukrainiennes supplémentaires si les ukrainiens insistent vraiment beaucoup (c'est-à-dire si les excités de Kiev y poursuivent leur politique sommairement répressive,) puis en allant discuter du reste avec Porochenko et ses affidés le moment venu.

Chez nous, sans parler du bobard récurrent des "observateurs de l'OSCE", certaines descriptions des événements de Marioupol ("20 pro-russes tués, un policier mort") témoignent d'un souci de désinformation toujours aussi pervers: dans la présentation sommaire qui en est faite dans beaucoup de médias le lecteur a l'impression que le malheureux policier tué à Marioupol fut une victime des méchants "pro-russes". En réalité il s'agissait d'un policier local qui avait un bras dans le plâtre et qui a été purement et simplement assassiné (ainsi que plusieurs autres civils désarmés) par les glorieux militaires envoyés de Kiev (cf. le reportage paru dans The Independent).

Bref, il faut s'informer à un maximum de sources (et non, malgré quelques progrès, Médiapart ne figure toujours pas dans ma liste des sources fiables) et ne pas hésiter à réfléchir un peu par soi-même: essayez, vous verrez, ce n'est pas si difficile que ça...

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