Alors que certains (surtout du côté de la Droite néolibérale) nous vantent la méthode suédoise de responsabilisation individuelle et de maintien de l'activité économique, il est utile d'écouter d'autres points de vue, et surtout de comparer les résultats obtenus avec ceux des autres pays scandinaves, ayant un fond politico-culturel voisin (tradition égalitaire, démocratie parlementaire, religion protestante majoritaire...).
La comparaison des taux de décès par million d'habitants (relevés ce jour sur Worldometers.info) entre les divers pays scandinaves nous fournit un premier motif objectif de rejet de l'approche suédoise, par rapport aux mesures plus contraignantes adoptées par les pays voisins:
Danemark: 91
Finlande: 48
Norvège: 40
Suède: 319
Quant à l'argument du maintien de l'activité productive manufacturière dans un pays aussi inséré dans les réseaux mondiaux d'échange que la Suède, elle est un peu illusoire: comme partout, les pièces détachées importées manquent, et les débouchés à l'exportation sont également très réduits.
Seul l'argument du maintien en activité des services publics et des services privés marchands mérite considération, ce qui n'est certes pas négligeable. Mais là encore, il faut relativiser; comme partout ailleurs, on observera une chute historique du PIB, ainsi que le prévoit ce site d'analyse macroéconomique dont je vous traduis un extrait:
"Au second trimestre, le plongeon du PIB sera très probablement le plus grand jamais enregistré en un trimestre à l'époque moderne. Pendant l'automne 2008, quand la crise financière a éclaté, le PIB ,'a pas chuté de plus de 4% en base trimestrielle. La baisse au second trimestre de cette année semble partie pour être bien pire si les mesures prises pour limiter la propagation du virus sont maintenues en Suède et ailleurs. La baisse du PIB pourrait être d'une ampleur telle qu'elle soit difficile à calculer par l'Institut Suédois de Statistiques."
Dans un entretien publié par Pagina/12 (faisant suite à une présentation du président Fernandez évoquant la gestion de la crise par ces deux pays scandinaves) un Argentin établi à Langhus en Norvège depuis 8 ans fait quelques commentaires acides sur la gestion de l'épidémie par le pays voisin, après avoir mis en relief, par contraste avec l'Argentine, la tradition de discipline et de respect trans-partisan des consignes gouvernementales commune à ces deux pays:
"En Suède, les bars, les restaurants, les shoppings, les écoles, les universités, tout est resté ouvert, seuls les spectacles de masse ont été suspendus. Ils ont négligé les institutions gériatriques qui sont devenues le principal foyer de contagion... Le premier ministre social-démocrate Löfven est arrivé au gouvernement en faisant des concessions à des secteurs de Droite et ce sont ces secteurs qui ont fait pression pour que tout reste ouvert."
"La Suède est un pays-frère et le gouvernement norvégien dit qu'il ne suivra en aucun cas la méthode suédoise, mais ils le disent avec précaution car c'est un important partenaire commercial"
"Ma vision est que les Suédois sont un peu plus arrogants et snobs que les Norvégiens."
"Comment peuvent-ils approuver un système qui produit tant de morts ? Bon, je t'ai déjà dit que ce sont des sociétés obéissantes, et dans le cas de la Suède, la mentalité bourgeoise de faire des affaires est très implantée. Mais maintenant elle commence à reculer un peu."
Dans un autre article du même journal, le sociologue Juan Cruz Esquivel pointe le racisme implicite de l'approche suédoise:
"Actuellement en Suède, environ 20% de la population sont des immigrants, en majorité du Moyen-Orient et d'Afrique. Avec d'autres habitudes de proximité sociale et une plus forte densité dans les lieux de résidence, ce qui contraste avec les 40% de foyers unipersonels des Suédois, ils sont employés dans les métiers les plus exposés comme les soins aux personnes âgées dans les maisons de retraite ou dans des tâches subalternes des métiers de la santé. Le modèle d'autonomie personnelle dans la gestion du Covid-19 a eu un impact fatidique et inégalitaire, car on observe une sur-représentation des étrangers parmi les décès."