Ce derniers jours, le cours du dollar parallèle (dit 'dolar blue' parce qu'il n'existe pas officiellement: comme chacun sait le dollar est vert... d'où son surnom de "lechuga" dans l'argot local) a beaucoup baissé (d'environ 10%) et les spéculateurs qui visaient un dollar au noir à 16 pesos (le cours officiel étant de 8,5 pesos) en sont pour leurs frais.
Cette chute brutale est liée à plusieurs facteurs: après des mois de confrontation, le gouvernement et les exportateurs de céréales et de soja se sont mis d'accord sur un chronogramme de reprise des exportations (pour protester contre les rétentions fiscales jugées excessives, les producteurs avaient gelé leurs exportations, mais ils ont besoin de commencer à vider leurs silos pour pouvoir accueillir la prochaine récolte ce qui les amène à un peu plus de souplesse). La perspective d'un afflux prochain de dollars dans les caisses rend la spéculation (fondée sur la rareté) soudain moins attractive. Le gouvernement a également assoupli la législation concernant la possibilité pour les particuliers d'acquérir des devises étrangères (qui est de tout temps la meilleure façon pour la classe moyenne argentine de se protéger contre l'inflation galopante.)
D'autre part, la commission des valeurs (équivalent de notre AMF) a lancé depuis la semaine dernière une série de raids de la police financière contre les "méga-cuevas" de la City et d'autres grandes villes (Rosario, Mar del Plata).
Une "cueva" c'est au sens propre une caverne, une grotte, ou un creux de terrain, mais dans le langage imagé des Argentins, c'est aussi et surtout un bureau de change clandestin.
À la différence des "arbolitos" de base (changeurs de rue ainsi nommés parce qu'ils ont des billets verts au bout des doigts) qui pratiquent le change au noir à petite échelle pour arrondir leurs fins de mois en récupérant les dollars, euros et reales des touristes de la zone piétonnière du centre ville (les rues Florida, Lavalle etc.) les méga-cuevas sont une véritable industrie financière adossée au business de l'import-export et en particulier à quelques gros opérateurs de la bourse spéculant sur les matières premières.
Plusieurs sociétés de bourse opérant parallèlement (et illégalement) comme des "cuevas" ont été suspendues (et leurs licences d'opérateurs en devises ont été révoquées) et des amendes de plusieurs millions ont été infligées à leur dirigeants. Comme par hasard, on retrouve parmi ces individus quelques uns des représentants de l'oligarchie agrarienne (comme V. Alchouron qui présida la Société Rurale, le très puissant lobby agro-industriel qui est l'équivalent local de notre FNSEA.)
Cette toute première action réellement énergique contre la spéculation financière tranche avec l'hypocrisie du péronisme "canal historique" de l'époque de Moreno qui se contentait de quelques chasses symboliques aux "arbolitos" sans jamais s'attaquer aux véritables spéculateurs.
Évidemment, l'Argentine et le péronisme étant ce qu'ils sont, le tableau est loin d'être idyllique: les "cuevas" considérées comme "amies" (ie celles qui contribuent pour une fraction de leurs bénéfices aux caisses électorales du péronisme en prévision des élections présidentielles de l'an prochain) semblent être jusqu'ici sorties indemnes de l'épisode.
Présentement, le 'dolar blue' reste encore à environ 50% au-dessus du cours officiel, et ne descendra probablement pas davantage, d'autant plus que le gouvernement argentin est de nouveau sous la pression des fonds-vautours: suite au jugement rendu l'été dernier par Griesa, d'autres réclamations se sont manifestées et le montant des demandes de remboursement atteint déjà 6 milliards de dollars. Le gouvernement continue de jouer la montre puisque l'échéance finale des réclamations est le 31 décembre 2014. C'est donc seulement en janvier 2015 que l'on connaîtra le volume total du défaut.
À partir de là, Cristina Fernandez et Axel Kicillof décideront ou non de reprendre les négociations avec les demandeurs (en fonction également de la conjoncture politique interne et des marges de manoeuvre qu'elle leur donnera.)