On peut évidemment, comme l'a fait hier notre président lui-même (qui en connaît un rayon en matière de nullité non avenue) dénier toute légitimité au vote d'hier, mais si l'on veut comprendre quelque chose à la situation, mieux vaut réfléchir sur la base des faits:
1°) le vote n'a pu se tenir que dans les zones urbaines du Donbass, ce qui dessine un périmètre maximal de l'Ukraine "annexable" nettement réduit par rapport à certains discours poutiniens d'il y a seulement quelques semaines (cf. mon précédent billet sur les provinces de 1913).
2°) si à défaut d'être légal, ce vote n'est pas totalement illégitime (vu le comportement de l'armée ukrainienne dans la région, il est assez logique que la mouvance rattachiste-autonomiste ait eu envie de réaffirmer son identité) il n'en est pas moins entaché de nombreuses irrégularités (absence de listes électorales, absence d'enveloppes assurant le secret du vote, possibilité avérée pour les militants faisant la tournée des bureaux de voter plusieurs fois). Bref ça ressemblait à un vote bonapartiste en Corse (pour le récit hilarant d'une campagne électorale en Corse sous Napoléon III, lire l'excellent roman un peu oublié de Daudet "Le Nabab"). Autrement dit son résultat est plus douteux que celui de nos "référendums municipaux" organisés sans base légale mais qui permettent néanmoins aux autorités locales de prendre la température sur tel ou tel sujet difficile à traiter.
3°) pour Poutine, ce vote présente trois inconvénients majeurs (et c'est à mon avis la raison pour laquelle il aurait nettement préféré qu'il n'eût point lieu):
a) il dessine trop nettement les limites géographiques de la mouvance "rattachiste"; or Poutine a besoin de flou pour sa stratégie d'hégémonie comme pour sa tactique de souffler le chaud et le froid;
b) il démontre le manque de lucidité des "rattachistes" locaux et leur incapacité à organiser ne serait-ce qu'un embryon de structure administrative (autrement dit, une "république autonome de Donietsk" serait un bordel totalement incontrôlable, et Poutine n'aime pas ça du tout dans une perspective de rattachement à la Russie, même si ça ne le dérange pas pour le moment, au contraire: plus il y a de bordel en Ukraine, mieux il pourra pêcher en eaux troubles);
c) un vote auto-organisé par des autorités locales est un très mauvais exemple pour la Russie voisine: il ne faudrait quand même pas que les "hommes polis" dépêchés sur place pour assister le bloc "rattachiste-autonomiste" en reviennent avec des idées baroques quant aux bienfaits du développement de la démocratie locale (on se souviendra que Staline expédiait en Sibérie tous les brigadistes internationaux revenant d'Espagne, car ils eussent pu être contaminés par des idéaux démocratiques incommodes à gérer.)