On parle beaucoup des prépas ces jours-ci, et la Presse croule sous les témoignages vécus lourdement habillés de clichés, alors que le lobby des profs de CPGE se répand dans toutes les feuilles de chou avides de bonnes grosses polémiques vendeuses de papier.
Pour avoir connu ce système de l'intérieur il y a une quarantaine d'années et avoir pu par la suite comparer ses performances avec celles de l'enseignement supérieur de bien d'autres pays, je proposerai ici quelques éléments de réflexion que l'on entend assez peu dans le brouhaha médiatique actuel:
* si l'on n'a pas une grande confiance dans sa capacité à se mettre spontanément au travail, et que l'on pense donc avoir besoin d'être plus solidement encadré qu'à l'université mais que l'on n'est pas obsédé par l'idée d'entrer à l'X ou autres très grandes écoles, on peut se laisser embarquer dans cette galère tout en y ramant modérément: contrairement aux multiples témoignages lus ici ou là, et bien qu'étant en internat, je n'ai jamais travaillé plus tard que 22h lorsque j'étais en taupe; je faisais de l'astronomie, j'allais assez souvent au cinéma et je lisais bien autre chose que des livres de maths et de physique. Le programme littéraire en français comme en anglais n'était d'ailleurs pas dénué d'intérêt: c'est en taupe que j'ai découvert Arthur Miller ou le théâtre de Tchékhov dont je n'avais jamais entendu parler auparavant. Bref, la taupe n'est un formatage abrutissant que pour ceux qui sont déjà des abrutis en y entrant
* ce système dual de formation n'existe qu'en France, il n'est donc pas absurde de se poser la question de son abolition; mon expérience personnelle d'avoir intégré une école d'ingénieurs admettant en parallèle des candidats venant de l'université (alors que de plus notre école d'ingénieurs fonctionnait en tandem avec une filière maîtrise+DEA: nous avions les mêmes cours techniques avec seulement le sport, l'anglais et la gestion en plus) m'a donné envie de compléter mes études d'ingénieur par une thèse, et m'a surtout permis de constater que nos camarades "faqueux" étaient certes en première année bien moins affûtés que les "taupins" mais comme ils avaient été accoutumés plus tôt à la responsabilité qui va de pair avec l'autonomie, ils étaient plus travailleurs et refaisaient sans mal leur retard (la fable du lièvre et de la tortue, vous connaissez ?) en deuxième et encore plus en troisième année; certes, ils avaient parfois moins d'aisance dans les relations sociales parce qu'issus de milieux plus modestes et moins gorgés de capital symbolique mais je crois bien qu'ils sont devenus d'aussi bons ingénieurs que les autres. Remplacer le système CP+GE par la mise en place de filières sélectives au sein de l'université aurait de nombreux avantages pour le pays (lever le tabou de la sélection à l'université, favoriser les passerelles et la formation par la recherche ainsi que la multiplication des doctorats d'ingénieur; bref, ce serait une évolution qui rapprocherait progressivement la France des autres grands pays scientifiques européens: Grande-Bretagne, Allemagne, Pays-Bas, Suède...) J'ai cotoyé au cours de ma vie antérieure d'ingénieur beaucoup d'excellents ingénieurs britanniques, allemands, hollandais, suédois, américains... qui avaient été formés à l'université et avaient souvent passé un doctorat (avec label "PhD" ou "Ing-Doc" dûment mentionné sur leur carte de visite professionnelle, car considéré chez eux comme une garantie de compétence et de sérieux.)
* la compétence proprement didactique et pédagogique et la capacité d'innovation des profs de CPGE ne doit pas être exagérée: je me souviens encore de mon premier cours de physique de Maths Sup où le prof en blouse blanche campé sur son estrade nous comptait à voix haute au fur et à mesure de notre entrée dans l'amphi; lorsqu'il a eu fini son comptage, il nous a balayé du regard et a sussurré avec un sourire carnassier: "45, c'est vraiment beaucoup, mais heureusement dans un mois ils seront moins nombreux". Je suppose que quelques progrès sur la qualité de l'accueil ont été faits depuis, mais à lire certains témoignages récents, je ne suis pas sûr que les choses aient tant changé que cela.
* la compétence proprement disciplinaire des enseignants en CPGE ne doit pas être surestimée non plus, la plupart n'ont pas fait beaucoup de recherche voire pas du tout (il n'y a pas besoin d'une thèse pour enseigner en CPGE, l'agrégation suffit). Or à l'heure où l'on demande à des enseignants du primaire d'avoir le niveau bacc+5, il ne serait pas illogique pour former les futures "élites scientifiques de la nation" de remplacer systématiquement de simples agrégés par des enseignants-chercheurs du niveau maître de conférence.