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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 14 août 2025

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Arïadna Èfrone attendait le printemps

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Arïadna Èfrone (1912-1975) était la fille de Sergueï Èfrone et Marina Tsvétaïéva. Vivant en exil à Paris avec ses parents, elle fut la première de la famille à vouloir rentrer en Russie et revint en URSS en 1937, soit au pire moment (celui des sanglantes purges staliniennes dite de la Iéjovchtchina.)

Elle avait étudié à Paris dans une école d'art et de publicité et sa connaissance du français lui servit à traduire Maïakovski et à travailler dans des magazines soviétiques en français comme La Revue de Moscou dans lesquels elle faisait des dessins, rédigeait des articles et effectuait des traductions.

Elle fut arrêtée par le NKVD en 1939, accusée d'espionnage et condamnée à huit ans de camp.

On l'obligea même, sous la torture, à témoigner contre son père qui fut fusillé en octobre 1941 (sa mère s'était suicidée en août.)

Refusant de servir d'informatrice au sein du camp, elle fut déportée dans un camp plus dur au nord de la Russie en Mordovie, mais son compagnon Samuel Gourévitch (qui était lui-même un agent du NKVD chargé d'espionner la famille Èfrone et avait joué le rôle de dénonciateur ; il fut fusillé en 1951) parvint à obtenir un traitement moins dur pour la prisonnière en danger de mort.

Libérée en 1948, elle devint enseignante en arts graphiques et correspondit avec Pasternak qui lui envoyait des poèmes de Docteur Jivago qu'elle souhaita illustrer. Elle fut de nouveau arrêtée l'année suivante et condamnée à l'exil intérieur à vie au centre de la Sibérie dans la région de Krasnoïarsk.

Réhabilitée en 1955, elle rentra à Moscou et devint membre de l'Union des Écrivains à partir de 1962. Ayant eu toute sa vie le cœur fragile, elle était de plus affaiblie par ses années de camp, et pouvait à peine marcher dès la fin des années 1960 (elle mourut d'ailleurs d'une crise cardiaque.)

Elle avait consacré ses vingt dernières années à récupérer les archives de Tsvétaïéva pour éditer son œuvre et elle écrivit aussi un livre de souvenirs sur sa mère et ses propres mémoires du Goulag dans deux livres qui ont été traduits en français.

Elle traduisit en russe des poètes français (Hugo, Gautier, Baudelaire, Verlaine...) mais ses propres poèmes ne furent publiés que dans les années 1990, après la fin de l'URSS, et ils n'ont pas encore été édités en français.

Le printemps

Il n'est pas ni chanteuse ni beauté fatale —
Comme un ours il s'active et se donne du mal
Fait des efforts par les nuées,
Par les dénivelés,
Par toutes les puissantes rivières endormies,
Par chaque veine et chaque racine du bois,
De toute sa maternelle énergie,
Du cœur de l'arbre de la taïga,
De toute la souplesse d'un muscle d'animal,
Pour qu'hors de la coquille qui se fend
Émergeant d''un sommeil mortuaire et glacial,
Apparaisse un petit amas tremblant,
Un poussin humide encor — le printemps.

Texte russe:

Весна

Не певунья и не красавица —
По медвежьи трудится, старается,
Напрягается тучами,
Кручами,
Всеми реками сонно-могучими,
Каждым корнем и каждой жилою,
Всей своей материнской силою,
Сердцевиной таежного дерева,
Всей упругостью мускула зверева,
Чтоб из треснувшей оболочки
Ледовитого, мертвого сна,
Появилась дрожащим комочком,
Необсохшим цыпленком — весна.

Notes sur le texte et la traduction:

Ce poème date de 1951 et évoque la lente et tardive arrivée du printemps en Sibérie. Le poème est constitué de vers de longueur variable avec des rimes plates. La traduction comporte un mélange de rimes plates et de rimes croisées et des longueurs de vers qui reflètent plus ou moins celles de l'original.

chanteuse ... beauté fatale: en russe, comme en italien ou en espagnol (la primavera) le printemps est du genre féminin. Le mot russe красавица que j'ai traduit par "beauté fatale" pour la rime désigne une femme exceptionnellement belle. La comparaison qui suit avec l'ours minimise l'inconvénient sur la traduction du changement de genre, même si l'on trouve plus loin l'adjectif "maternelle".

veine: le mot russe, comme son équivalent français, peut désigner une veine du bois ou du marbre ou un vaisseau sanguin ou encore une couche de minerai dans une mine.

racine du bois: le texte dit seulement: "racine" ou "souche".

émergeant: étoffement participial remplaçant le complément de nom pour une syntaxe plus fluide dans la traduction ; le texte dit littéralement: "hors de la coquille cassée / D'un sommeil...".

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