Notre douce France ressemble de plus en plus à l'Argentine, autre pays cher à mon coeur (et qui aime bien châtie bien).
La manière dont Fillon a récupéré une partie des salaires versés à ses enfants ne surprendrait personne du côté du Rio de la Plata où ce genre de pratique est monnaie courante (si j'ose dire).
La gestion clientélaire et discrétionnaire des emplois municipaux par les appareils politiques, à travers le relais des "punteros" (agents électoraux de terrain) est un système bien rodé, en particulier dans les municipalités péronistes "canal historique" du grand Buenos Aires.
Grâce à ses connexions politiques, le puntero peut obtenir des faveurs et en particulier des emplois municipaux (souvent à temps partiel afin d'arroser large et de fidéliser ainsi une clientèle électorale la plus étendue possible), mais cela ne va pas sans contrepartie: il y a une sorte de taxe au piston ajouté qui peut représenter 30% ou plus du salaire nominalement attribué à l'heureux néo-employé. Cela s'appelle le "retorno" et c'est censé alimenter les caisses du parti, du financement clientélaire et illégal mais supposément au service de la noble cause justicialiste.
La réalité est évidemment bien différente: le puntero empoche personnellement une petite partie de la somme pour prix de ses bons et loyaux services et le reste du retorno remonte dans les poches du maire et de ses principaux adjoints, une fraction poursuivant sa route jusqu'au niveau du gouvernorat provincial voir plus haut.
Il peut cependant exister des élus honnêtes: comme dans le vaste système de racket des prostituées, des commerçants et des ateliers "clandestins", appliqué par tous les commissariats du pays, le commissaire charge quelques uns de ses hommes de confiance d'aller hebdomadairement ou mensuellement relever les compteurs et le reste des troupes est tenu à l'écart: moins on partage, plus les portions sont grosses. Une bonne partie de l'argent ainsi récolté remonte jusqu'à la "cupula" des commissaires principaux et généraux qui pilotent l'ensemble du racket. Ceux qui se risquent à monter leur propre racket privé en dehors du circuit "officiel" ne sont pas couverts en cas de dénonciation et servent de boucs émissaires dont l'épuration périodique à grand renfort de tam-tam médiatique permet au système "normal" de corruption généralisée de continuer à prospérer.
Bien que les péronistes aient porté le fonctionnement du retorno municipal à un niveau proche de la perfection technique, ils n'en ont pas le monopole: toutes les municipalités (qu'elles soient radicales, socialistes ou régionalistes) trop longtemps contrôlées par un même satrape connaissent les mêmes dérives clientélaires.
Le retorno fonctionne également dans le système judiciaire: l'informaticien Lagomarsino avait expliqué que le feu procureur Nisman qui l'avait embauché dans son équipe lui faisait reverser la moitié de son salaire de 41 000 pesos sur un compte new-yorkais non déclaré mis au nom de la mère de Nisman et sur lequel Nisman avait procuration. Ce fut même considéré comme un mobile possible pour vouloir se débarrasser de Nisman mais Lagomarsino fut mis hors de cause par les enregistrements de vidéo-surveillance.
Fillon n'a donc fait qu'appliquer ces techniques à une échelle minablement artisanale, preuve supplémentaire de la petitesse du personnage qui n'est même pas capable de monter un vrai racket d'envergure et se contente de faire les poches à ses enfants et à quelques amis.
N'importe quel citoyen argentin un peu lucide vous le dira: un politicien qui n'est pas capable d'arnaquer le Trésor Public à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros n'est pas digne de la présidence.