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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 15 mars 2025

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Pribloudnyi jeune vagabond et poète rebelle

Yakov Pétrovitch Ovtcharenko (1905-1937) naquit en Ukraine, près de Kharkov, dans une famille de paysans pauvre et perdit très jeune sa mère. Ses études se limitèrent à quelques années d'école de village et en 1920 il partit nomadiser à travers l'Ukraine, travaillant comme berger puis accompagnant une troupe de cirque.

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Yakov Pétrovitch Ovtcharenko (1905-1937) naquit en Ukraine, près de Kharkov, dans une famille de paysans pauvre et perdit très jeune sa mère. Ses études se limitèrent à quelques années d'école de village et en 1920 il partit nomadiser à travers l'Ukraine, travaillant comme berger puis accompagnant une troupe de cirque.

Fin 1920, l'orphelin sans ressources et à moitié mort de faim se porta volontaire pour entrer dans la cavalerie cosaque de l'Armée Rouge où, d'abord pris pour un espion, il suscita la pitié d'Ivan Krylov, chef du contre-espionnage au sein de la 17ème division.

Il fut surnommé Pribloudnyï (l'égaré, l'errant) ce qui devint son nom de plume, avec comme prénom Ivan par reconnaissance envers Krylov. Son don précoce pour la création poétique avait été remarqué par Krylov qui rédigea pour lui une recommandation et l'envoya à Moscou où il fut accueilli en 1922 dans un internat. Il commença à faire circuler et à lire lui-même ses poèmes qui lui permirent d'entrer à l'Institut Littéraire Supérieur que dirigeait Brioussov et où il eut comme condisciple Nassedkine. Il y chantait volontiers ses propres poèmes ainsi que ceux de Blok et de Iéssénine.

Il commença à être publié en 1923 mais son manque d'assiduité lui valut une exclusion temporaire de l'Institut. Il rencontra Iéssénine en août par l'intermédiaire de Nassedkine.

L'Institut ayant été dissout en 1925, et n'ayant plus d'endroit ou vivre, il se fit héberger à droite à gauche par ses condisciples. Il put publier un premier recueil en 1926 avec une dédicace à Iéssénine. Il épousa Natalia Zinovieva en 1929, mais après la naissance d'une petite fille, elle demanda le divorce l'année suivante du fait de l'incapacité de son mari d'assumer les responsabilités matérielles d'une famille.

Lors de la sortie de son deuxième (et dernier) recueil en 1931, sa poésie "non partisane" fut durement critiquée par les apparatchiks de l'Union des Écrivains et il fut assimilé aux autres poètes néo-paysans (Kliouïev, Klytchkov, Oréchine...) tous devenus suspects à l'heure de la collectivisation forcée.

Il fut arrêté en mai 1931 (il aurait commis une épigramme sur Vorochilov, membre du Politburo et proche de Staline) et envoyé en exil à Astrakhan. Revenu à Moscou en 1935, il ne parvint plus à se faire publier et se plaignit auprès de Kaganovitch, membre du Politburo et premier secrétaire du Parti en Ukraine (et à ce titre co-organisateur de la famine génocidaire appelée Holodomor), qu'on ne lui permette pas de "se réhabiliter par la littérature".

Il fut défendu par Boukharine qui fit publier un poème de lui dans les Izvestia en 1936. Cela lui sera fatal après la chute de Boukharine l'année suivante. Arrêté à nouveau en avril 1937, et accusé de participer à une "organisation contre-révolutionnaire terroriste des poètes" (sic) il aggrava son cas en adressant depuis sa prison des poèmes moqueurs au tout-puissant chef d'orchestre des purges staliniennes, l'abject chef du NKVD Nikolaï Iéjov (responsable des sanglantes purges de 1937 appelées "Iéjovtchina", et lui-même liquidé en 1938.)

Pribloudnyi fut condamné à mort le 13 août 1937 et immédiatement fusillé, en même temps que 25 autres condamnés dont Zaroudine. Il sera réhabilité en 1956 et admis à titre posthume à l'Union des Écrivains de l'URSS en 1985.

Voici un poème qui le montre critique de la modernité post-révolutionnaire:

Последний извозчик
В трущобинах Марьиной рощи,
Под крик петуха да совы,
Живёт он, последний извозчик
Усопшей купчихи Москвы.

С рассветом с постели вставая,
Тревожа полночную тьму,
Он к тяжкому игу трамвая
Привык и прощает ему.

Его не смущает отсталость,
Пока не погашен кабак,
Пока его правом осталось
Возить запоздавших гуляк.

Но всё же он чувствует: скоро,
Прорезав полночную тьму,
Династия таксомотора
Могильщиком будет ему.

И скорбный, на лошади тощей,
Стараясь агонию скрыть,
Везёт он из марьиной рощи
Свою одряхлевшую прыть.

Ma traduction:

Le dernier cocher
Dans les taudis du bois de Marina,
Sous les cris du coq et du hibou,
Il vit là, le dernier cocher de la
Défunte marchande de Moscou.

Dès l'aurore du lit se levant,
Dérangeant de minuit l'obscurité,
Du tramway avec son joug pesant
Il a l'habitude et l'a pardonné.

Être en retard ne le gêne pas,
Tant que n'est pas éteint le cabaret,
Tant que pour lui subsiste le droit
De transporter les noceurs attardés.

Mais il sent quand même que bientôt,
Traversant l'obscurité de minuit,
Viendra le mettre dans un tombeau
La dynastie des chauffeurs de taxis.

Et tentant de cacher son agonie,
Triste, sur son cheval efflanqué,
Du bosquet de Marina il conduit
Sa déclinante vivacité.

Notes sur le texte et la traduction:

Ce poème est daté d'avril 1929. Il alterne des vers de 8 et 9 syllabes à rimes croisées. La traduction adopte un même schéma de rimes croisées mais avec des vers de 9 et 10 syllabes.

Le personnage du cocher de fiacre est une figure familière du Moscou du dix-neuvième siècle. Dans ses romans inspirés de son expérience de terroriste Socialiste-Révolutionnaire, Boris Savinkov raconte que se déguiser en cocher et aller vivre parmi eux dans leurs taudis permettait d'échapper à la police tsariste et aussi de s'enfuir rapidement après un attentat.

les taudis du bois de Marina: ce quartier populaire du nord de Moscou avait la réputation d'un repaire de bandits (Marina aurait été le nom d'une cheffe de bande) et de marginaux vivant là dans des habitations précaires à la fin du dix-neuvième siècle. On peut le comparer à ce que l'on appelait "la zone" à Paris, territoire des chiffonniers et des clochards. Le mot russe traduit ici par "taudis" a aussi le sens de "fourrés" mais il est clair que le cocher ne dort pas à la belle étoile.

la défunte marchande: formule empruntée à Iéssénine renvoyant peut-être à un célèbre tableau de Koustodiev peint en 1918.

les noceurs attardés: ce poème date de la fin de la Nouvelle Politique Économique (NEP), phase de retour à l'économie de marché qui fut lancée par Lénine dès 1921 (à titre transitoire mais avec la perspective qu'elle dure au minimum une décennie). La NEP avait permis l'émergence fugace d'une couche de nouveaux riches (essentiellement des commerçants appelés "NEPmen") qui menaient joyeuse vie à Moscou et suscitaient un fort ressentiment populaire. Staline décréta la fin de la NEP en janvier 1930.

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