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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 16 février 2014

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L'inflation en Amérique Latine: un phénomène éminemment politique

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Les deux pays au monde ayant le taux d'inflation des prix à la consommation le plus élevé sont le Vénézuela et l'Argentine (respectivement de l'ordre de 50% et 25% en 2013).

Ces pays ont un certain nombre de caractéristiques en commun:

1°) parmi les pays moyennement développés, ils sont situés "en bout de chaîne" de la Division Internationale du Travail (DIT) avec un poids relatif fort du secteur primaire exportateur de matières premières non transformées (le pétrole au Vénézuela, le soja et le maïs en Argentine) et un poids faible des industries et services à haute valeur ajoutée.

2°) ils ont mis en place dans la dernière décennie des politiques redistributrices sous l'égide de dirigeants charismatiques (Chavez et Kirchner) mais sans vision stratégique pour mener un développement économique auto-centré. Ces politiques de redistribution sociale ont aiguisé les tensions avec les classes dominantes (les oligarchies locales associées aux représentants des opérateurs internationaux et s'agrégeant les classes moyennes supérieures: professions libérales, couches supérieures du salariat...)

3°) les efforts conjugués de leurs oligarchies dominantes et de l'impérialisme anglo-saxon (britannique puis américain), associés à l'impéritie et la corruption de leurs gouvernements (qu'ils soient populistes ou libéraux étiquetés conservateurs ou "socio-démocrates") les maintiendront dans cette position à horizon prévisible.

Le durcissement des conflits de classe autour du principal enjeu économique (l'appropriation de la rente agricole ou pétrolière) se traduit entre autres manifestations dans le champ économique par une accélération de l'inflation: loin d'être "purement économique", l'inflation galopante est un phénomène éminemment politique lié à plusieurs facteurs:

1°) le contrôle oligopolistique du secteur de la grande distribution par des entreprises étrangères: en Argentine, Carrefour (FR), Dia (ES), et Wal-Mart (USA) représentent à eux seuls plus de 40% de la distribution des biens de consommation courante.

2°) l'intérêt pour les exportateurs les plus puissants et des grands importateurs ayant pu constituer des stocks de pousser en permanence à la dévaluation afin de maximiser leurs profits sur chaque cycle d'opération.

3°) l'absence d'une politique multi-sectorielle de développement combinée à la logomachie démagogique des dirigeants populistes les empêche d'agréger les classes moyennes entrepreneuriales et techniciennes aux classes populaires, ce qui amène ces couches intermédiaires à servir au contraire de masse de manoeuvre à l'oligarchie. En hérissant les classes moyennes par ses discours clivants et ses rituels mystiques, le populisme bolivarien ou évitiste fait exactement le contraire de ce que recommandait Gramsci: s'atteler à développer une véritable hégémonie culturelle et politique afin de construire un large front des dominés contre les dominants. L'absence d'un vrai souci (au-delà de quelques slogans démentis par la réalité) d'associer les classes moyennes à une politique progressiste de développement national conduit ces gouvernants à négliger le problème de l'inflation. Or ce ne sont ni ceux qui n'ont rien ni ceux qui ont tout (en général au chaud à l'étranger) qui craignent l'inflation mais ceux qui ont besoin d'un environnement économique local offrant une viabilité de moyen terme à leurs projets.

4°) l'absence d'une approche gramscienne de la construction d'une hégémonie les conduit ainsi vers des stratégies de déni (l'Argentine vient seulement après 6 ans de manipulation de l'indice des prix, de se doter d'un nouvel indice digne de ce nom) couplées à des politiques de contrôle bureaucratique centralisé (fixation de prix maximum sur certaines catégories de bien, voire création de magasins d'Etat au Vénézuela) qui en plus d'être inefficaces sont de formidables intensifieurs de la corruption de l'appareil d'Etat (comment obtient-on un permis d'importation, une accélération des procédures de dédouanement etc.? En arrosant les hauts et petits fonctionnaires chargés de contrôler ces opérations...)

Bref l'inflation n'est pas simplement un indicateur économique parmi d'autres, mais un révélateur de l'intensité des conflits sociaux pour l'appropriation de la rente, d'une part, et de la faiblesse stratégique des gouvernants populistes, d'autre part.

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