Les déclarations à demi-démenties de Le Pen à un journal russe ont un double but tactique et stratégique:
- tactiquement, il s'agit de refaire surface après la piteuse expédition dominicale et méridionale de la famille Le Pen (excellemment tournée en dérision par Didier Porte lundi dernier);
- stratégiquement, en donnant du crédit à la théorie complotiste qui a émergé dans le discours islamiste des banlieues pour être ensuite relayée sur la Toile, Le Pen renforce tous les débiles dans leurs délires et vise à raviver le clivage (passé au second plan pendant quelques jours d'unanimisme émotionnel c'est-à-dire éphémère et superficiel) entre "la racaille issue de l'immigration" et "les pauvres français de souche" (tout aussi portés les uns que les autres à voir des complots partout pour les mêmes raisons socio-économiques et culturelles: déficit en capital symbolique, misère sociale, précarité et sentiment d'abandon face aux injonctions du capitalisme mondialisé).
Les dites théories complotistes mêlant le Mossad et les autres services secrets français et étrangers (pas encore la CIA mais ça va venir: on ne prête qu'aux riches...) ce discours fait d'une pierre trois coups auprès des esprits faibles:
- "C'est encore un coup des Juifs" ("analyse" commune aux islamistes et aux antisémites français traditionnels de l'extrême-droite qui malgré l'aggiornamento marinesque constituent encore une partie non négligeable des troupes et surtout des cadres lepénistes les plus chevronnés)
- "C'est encore un coup des ploutocrates qui gouvernent le monde" ("analyse" commune aux défenseurs des "petits" contre les "gros": néo-poujadistes à droite, alternativistes à gauche).
- "C'est encore un coup de l'Etat policier" ("analyse" commune à tous les protestataires anti-étatiques, tant libertariens que libertaires égarés).
Bref il y a là de quoi renforcer bien des imbéciles dans leurs croyances. Rappelons tout de même l'hypothèse de base (hypothèse développée par certains contributeurs de Médiapart dont je salue la lucidité) concernant l'abandon dans la voiture des Kouachi d'une carte d'identité permettant leur identification rapide, qui est le principal élément mis en avant par les complotistes et par Le Pen lui-même à l'appui de leur "démonstration".
Il s'agit d'un acte délibéré de la part de fanatiques narcissiques avides de publicité et qui ne comptaient pas ressortir vivants de leur attaque contre Charlie (car ils n'avaient visiblement programmé aucune logistique de repli après leur crime).